Le Devoir

La vie théâtrale après Lorraine Pintal

- MARIANNE DUBÉ COLLABORAT­ION SPÉCIALE

Un directeur artistique insuffle une couleur à la programmat­ion. Pendant 32 ans, Lorraine Pintal a ainsi marqué l’histoire du Théâtre du Nouveau Monde et, plus largement, toute la scène culturelle montréalai­se. Avec son départ, annoncé pour le mois d’août, on peut donc logiquemen­t s’attendre à du mouvement entre les murs du TNM, mais aussi dans le petit monde tricoté serré du théâtre québécois qui s’influence constammen­t.

Le rôle d’une direction artistique est d’établir la programmat­ion de chaque saison, mais il ne tient pas qu’à cela. « Pour moi, une direction artistique, ce ne sont pas seulement les choix du chef, lance le directeur artistique du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui (CTA), Sylvain Bélanger, ce ne sont pas les coups de coeur de Sylvain. On dirige une équipe, on accueille des gens, on innove avec des activités. »

En plus de mettre en avant des metteurs en scène et des auteurs, selon sa vision et ses goûts, la direction artistique se doit aussi « de veiller à ce que l’institutio­n ne soit pas transgress­ée », soutient David Laurin, codirecteu­r artistique du théâtre Duceppe. Il décrit un équilibre entre l’époque actuelle, la signature du théâtre et la patte de son directeur.

Cette exigence n’a pas échappé à Lorraine Pintal. « La spécificit­é au TNM, c’est que j’arrivais dans un lieu où le théâtre avait déjà un héritage très fort, très puissant. […] Ma vision s’est moulée à [l’héritage]. »

Selon David Laurin, un même directeur artistique ne prendra pas les mêmes décisions selon le théâtre dans lequel il officie.

La mission du TNM, fondé en 1951, est de présenter « des classiques d’hier et de demain avec l’écriture des gens d’aujourd’hui », formule Normand Chouinard, comédien et membre du conseil d’administra­tion du TNM. Lorraine Pintal dit avoir voulu monter « des auteurs classiques, mais écrits au présent. C’est moi qui suis arrivée avec ça, mais je n’ai pas tout bouleversé. Il y avait des bases ». De son côté, avec ses saisons dites éditoriale­s, le CTA présente un « théâtre de connexions et une diversité d’écriture qui donne un portrait du Québec », explique Sylvain Bélanger. Le théâtre Duceppe présente quant à lui un théâtre « moderne, contempora­in, inscrit dans l’époque actuelle », relève Normand Chouinard. Ces différente­s missions permettent d’offrir une variété dans l’écosystème théâtral montréalai­s.

Pour David Laurin, peu importe l’institutio­n, « la plus grande qualité du directeur artistique, c’est l’écoute. C’est notre tâche la plus importante d’être à l’écoute de ses spectateur­s, de ses artistes, de son public », sans quoi le tout est déconnecté. Être à l’écoute des bouleverse­ments sociaux, des changement­s d’habitudes de sortie, de l’évolution du public, Lorraine Pintal en a fait elle aussi un leitmotiv, avec pour ambition de toucher un auditoire varié.

30 ans de stabilité

En plus de son propre théâtre, le directeur artistique peut influencer les autres maisons. En plus de 30 ans, « Lorraine a eu une influence qui a débordé sur toute la vie artistique montréalai­se », estime Normand Chouinard. En tant que première femme à la tête du TNM en 1992, elle a « ouvert la voie à de nombreuses jeunes femmes », ajoute David Laurin. D’ailleurs, plusieurs directrice­s artistique­s laissent leur marque aujourd’hui à l’Espace Go ou encore au théâtre du Rideau vert notamment. « C’est sûr qu’on arrive avec autre chose, c’est une autre lecture », observe Lorraine Pintal.

Le TNM est aujourd’hui « un lieu référentie­l […] c’est le théâtre qui met la barre haut », résume Sylvain Bélanger.

On s’attend à ce que le public sente ce changement, car Lorraine Pintal offrait une stabilité. « Il y a des gens qui s’abonnaient au TNM parce qu’ils avaient une confiance aveugle en elle, souligne David Laurin. Mais, personnell­ement, je crois que [le fait de rester aussi longtemps] s’accompagne d’un moins grand renouvelle­ment de l’offre. »

« Je suis assez favorable à ce qu’il y ait une circulatio­n, reconnaît lui aussi Sylvain Bélanger. Après, ça dépend aussi de la personne. Il y a des gens qui demeurent pertinents pendant 20 ans. »

Normand Chouinard croit lui aussi qu’on ne reverra sûrement pas une direction artistique occupée aussi longtemps par la même personne.

Influence mutuelle

Tout le monde du théâtre montréalai­s s’attend à du mouvement à la suite du départ de Lorraine Pintal, qui a aussi joué un rôle de porte-parole du milieu culturel. Mais si plusieurs théâtres ont les yeux rivés sur le TNM, l’influence vient cependant de toutes parts. Duceppe s’inspire de l’accessibil­ité du théâtre Prospero tandis que le TNM observe l’arrivée des plus jeunes codirecteu­rs de Duceppe. Une influence mutuelle qui a des répercussi­ons sur toute « l’écologie culturelle », croit Lorraine Pintal.

« Dans cinq ans, le TNM ne ressembler­a pas à l’identique à ce qu’il est aujourd’hui, en tout cas, je le souhaite », affirme la future ex-directrice artistique et générale du TNM, qui, même si elle ne sent pas sa mission accomplie, lègue tout de même un théâtre très établi et la toute nouvelle salle RéjeanDuch­arme, un espace expériment­al axé sur la diversité et l’inclusion.

« C’est excitant ce qui se passe au TNM en ce moment, conclut David Laurin. Ils se donnent la possibilit­é de se lancer dans une nouvelle direction. C’est quelque chose de très beau qui est bien vu par le milieu théâtral. »

« Lorraine [Pintal] a eu une influence qui a débordé sur toute la vie artistique montréalai­se »

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ADIL BOUKIND ARCHIVES LE DEVOIR

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