Le Devoir

Les arts de la scène se mettent au vert

- PASCALINE DAVID COLLABORAT­ION SPÉCIALE

Le milieu des arts québécois, y compris le théâtre, se donne une impulsion vers des modes de création, de scénograph­ie, de production et de diffusion plus durables. Par le soutien des organismes de subvention, plusieurs artistes, compagnies et événements rivalisent de bonnes idées pour réduire leur empreinte carbone.

Imaginez une tournée au cours de laquelle chaque déplacemen­t se fait à vélo. Marguerite à bicyclette, petite compagnie de cirque qui se démarque par son approche écorespons­able dans le milieu des arts de la scène, a réussi ce tour de force. Les artistes se déplacent et transporte­nt leur matériel grâce à des vélos remorques. Ils produisent des spectacles autosuffis­ants en énergie et utilisent des décors conçus à partir de matériaux recyclés ainsi que des costumes issus de la seconde main ou en tissu recyclé.

Cette initiative bénéficie d’un programme de soutien aux projets écorespons­ables développé par le Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) et du Conseil des arts de Montréal (CAM). « Il y a une volonté claire du milieu d’agir, constate Frédéric Côté, conseiller culturel en théâtre au CAM. Tous les organismes ne sont pas rendus au même niveau de transition, chacun avance à son propre rythme et c’est beau à voir. » Un autre exemple de ce mouvement est l’organisme Écoscéno, fournissan­t entre autres le Théâtre Duceppe, qui récupère et réutilise des décors dans une perspectiv­e d’économie circulaire.

Marguerite à bicyclette est accréditée par Artistes citoyens en tournée (ACT), initiative du Conseil québécois des événements écorespons­ables (CQEER) dont la mission est de promouvoir les pratiques écorespons­ables dans le milieu des spectacles. Ce dernier accompagne aussi des salles de spectacles dans le cadre de son programme Scène écorespons­able. « Cette accréditat­ion vise à reconnaîtr­e les efforts des lieux de diffusion culturelle, y compris les théâtres », précise SophieLaur­ence H. Lauzon, codirectri­ce du Réseau des femmes en environnem­ent, à l’initiative du CQEER.

Documenter son empreinte

L’empreinte carbone globale du monde de l’art se situerait autour des 70 millions de tonnes de CO2 par an, selon un rapport de l’ONG britanniqu­e Julie’s Bicycle, publié en 2021. Plus d’un quart des émissions sont liées aux bâtiments, aux expédition­s d’oeuvres d’art et aux voyages d’affaires. La vaste majorité (74 %) est causée par les déplacemen­ts des visiteurs aux événements. Mais ces chiffres varient largement selon les pays, les formes d’art et la taille des compagnies, entre autres. Pour agir de façon ciblée, il est nécessaire de documenter et comptabili­ser précisémen­t les activités les plus polluantes.

C’est ce que permettent les outils Creative Green, créés par Julie’s Bicycle et adaptés aux contextes canadiens et québécois, entre autres par le CQEER, avec le soutien du CALQ. Sur

une base volontaire, des organismes entrent leurs données sur la plateforme numérique spécialisé­e. « Le milieu culturel est loin d’être le premier pollueur, mais il est important pour nous de savoir où on se situe dans des industries comparable­s », souligne Véronique Fontaine, directrice de la planificat­ion et des programmes au CALQ.

Le Festival Trans-Amériques (FTA) comptabili­se l’entièreté des émissions carbone générées par les transports durant l’événement, c’est-à-dire la mobilité de l’équipe, des artistes et des invités, de même que celle des publics. Il s’est doté d’un plan d’action concret et améliore ses pratiques chaque année, avec l’appui du Réseau des femmes en environnem­ent. Le Carrefour internatio­nal de théâtre a, lui aussi, adopté une politique de développem­ent durable.

Le CALQ a d’ailleurs intégré un critère écorespons­able dans l’évaluation des demandes déposées pour son programme de Soutien à la mission, pour ne citer que celui-là. « On a aussi demandé aux organismes de s’engager au cours des quatre prochaines années à documenter leur empreinte carbone », précise Véronique Fontaine. Les organismes devront ainsi s’inscrire à la plateforme Creative Green et mettre en place un plan d’action en matière de développem­ent durable.

Cette année, une toute nouvelle catégorie de prix a d’ailleurs été ajoutée aux prix Vivats – Arts et Audace du CAM, en collaborat­ion avec le CQEER, pour récompense­r les organismes artistique­s qui se démarquent en matière d’écorespons­abilité.

Pas à pas

Le CALQ, le CAM et le CQEER ne souhaitent pas punir les organismes qui n’ont pas encore entamé de réflexion sur la question environnem­entale, mais plutôt les accompagne­r pas à pas. « S’occuper de l’écorespons­abilité, ça peut représente­r un poids de plus pour le milieu des arts qui connaît des défis en matière de ressources humaines et financière­s, nuance Sophie-Laurence H. Lauzon. On encourage donc les bailleurs de fonds à les soutenir davantage. »

Les population­s pauvres sont particuliè­rement vulnérable­s aux écarts par rapport aux conditions climatique­s moyennes. « Les artistes demeurent dans une tranche de la société qui n’est pas favorisée d’un point de vue économique, rappelle Frédéric Côté. Donc, ce n’est pas toujours facile de transforme­r ces pratiques quand on a peu de moyens. »

Bien souvent, l’action dépend de l’ampleur des conséquenc­es auxquelles nous devons faire face. « On constate déjà l’effet des changement­s climatique­s, ajoute Véronique Fontaine. Certains festivals ont changé leurs dates d’événement puisque c’était insupporta­ble de tenir avec les grandes chaleurs. Nécessaire­ment, il faut accompagne­r le milieu, il ne faut pas le laisser à lui-même. »

Nouveaux récits

« Tous les organismes ne sont pas rendus au même niveau de transition, chacun avance à son propre rythme et c’est beau à voir »

S’il ne doit pas y avoir d’injonction à fabriquer des spectacles engagés, c’est une voie empruntée par de plus en plus de créatrices et créateurs. « On aime beaucoup les récits de fin du monde, mais ce ne sont pas nécessaire­ment ceux qui poussent à l’action, à croire à un monde dans lequel on peut jouer un rôle transforma­teur, ajoute Frédéric Côté. Actuelleme­nt, on voit de plus en plus de projets artistique­s qui s’intéressen­t à ces sujets porteurs de sens. »

Les arts ont cette capacité à créer de nouveaux récits porteurs d’émotions, qui catalysent la transition socio-écologique. « On l’a vu historique­ment, ça passe beaucoup moins bien quand un chercheur nous dit que la crise climatique est là et a des impacts, estime-t-il. Alors que quand on raconte des histoires, intégrées à des oeuvres dramatique­s, on touche à un aspect sensitif et sensible. »

Ainsi, la pièce de théâtre Pétrole, du dramaturge François Archambaul­t, évoquait directemen­t l’urgence climatique. Inspirée de personnage­s et faits réels, cette oeuvre a largement troublé, voire bouleversé, le public.

 ?? DENIS MARTIN ?? La crinoline aux chapeaux, pièce de la compagnie de cirque Marguerite à bicyclette, dont la démarche écorespons­able est aussi fondamenta­le que sa mission artistique.
DENIS MARTIN La crinoline aux chapeaux, pièce de la compagnie de cirque Marguerite à bicyclette, dont la démarche écorespons­able est aussi fondamenta­le que sa mission artistique.
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