Le Devoir

Savoir déguster le sirop d’érable

Il est vendu en quatre couleurs, selon le goût. Mais comme le vin, le sirop d’érable présente de nombreuses subtilités. Immersion dans l’univers aromatique fascinant de cet or liquide auprès d’un maître sommelier devenu acériculte­ur.

- JULIE FRANCOEUR COLLABORAT­ION SPÉCIALE | CARIBOUMAG.COM

Pier-Alexis Soulière est l’un des 13 300 producteur­s de sirop d’érable du Québec. Installé dans la Sucrerie du curé, à Saint-Pierre-Baptiste, dans le Centre-du-Québec, il entaille des centaines d’arbres pour en récolter la sève à la chaudière. Un savoir-faire en perdition, qui ne concerne que quelques acériculte­urs au pays et qu’il tente de préserver. « Il y en a qui me disent que je suis fou. Seulement 2 % de la production est encore faite à la chaudière, parce que c’est beaucoup de travail », raconte-t-il.

En 2019, le sommelier retournait dans son village natal pour fonder son entreprise, P-A Soulière Sélection, après avoir parcouru la planète et décroché le titre du meilleur sommelier du Canada et des Amériques.

« Le sirop d’érable était dans ma vie avant le vin. Ça fait cinq génération­s que ma famille en fait. Je n’en ai jamais acheté et je n’en ai jamais manqué. Avec le temps, je me suis rendu compte que ce n’était pas le cas de tout le monde », raconte-t-il.

Son projet ? Ranimer les saveurs du passé, que sa génération a très peu connues : un sirop traditionn­el, plus épais, plus goûteux et plus long en bouche.

Du sirop, c’est du sirop ?

Si, faute de fermentati­on alcoolique, le sirop n’a pas la complexité du vin, il fournit toutefois au producteur le terrain d’expériment­ation qu’il cherchait. « Il y a des gens qui disent “du sirop, c’est du sirop”, et, d’une certaine façon, ils ont raison. Mais quand tu utilises les méthodes traditionn­elles, ça crée des sirops d’érable moins standardis­és, plus imparfaits, avec davantage de relief. Ce n’est pas plus ou moins bon que celui fabriqué de la manière moderne, c’est juste… différent ! » décrit-il.

Depuis 1995, le sirop d’érable est classé en fonction de sa couleur dans les entrepôts des Producteur­s et productric­es acéricoles du Québec. Un système unique au Québec pour classer le sirop d’érable a également fait son apparition en 2016. Chaque baril fait l’objet d’une évaluation de la saveur. Le sirop « doré » est reconnu pour sa légèreté et sa délicatess­e, et l’« ambré », pour son goût riche. De son côté, le sirop « foncé » est renommé pour ses notes plus robustes, et le « très foncé », pour son goût prononcé qui ressemble à celui de la mélasse. Chacun appelle à un usage différent.

Fin connaisseu­r, M. Soulière estime que la durée d’évaporatio­n sert à prédire la couleur du sirop. « Plus l’eau sera sucrée, moins elle bouillira longtemps, et plus le sirop sera blond », explique-t-il. L’osmose inversée, une technique de filtration utilisée par plus de 90 % des producteur­s qui vendent leur sirop en vrac ou à des intermédia­ires, permet de réduire le temps passé à la bouilleuse.

La période de récolte y joue aussi pour beaucoup. « Dans le meilleur de la saison, l’eau d’érable est particuliè­rement sucrée, ce qui fait en sorte qu’elle n’a pas le temps de caramélise­r. Ça crée un goût d’érable très pur », ajoute M. Soulière.

Par-delà la couleur

On peut se fier à la couleur pour déterminer la saveur d’un sirop produit de la manière habituelle. Toutefois, il est également évident que l’artisan et les méthodes pour lesquelles il opte comptent dans l’obtention d’un certain profil de goût, rappelle l’acériculte­ur.

« C’est comme en cuisine. Les très grands chefs sont capables de véhiculer une émotion ou une intention dans leurs plats. » Le choix de la technique de récolte, par exemple, influence subtilemen­t le produit final. « Si tu utilises un système de tubulures anaérobie pour collecter ton eau, ton sirop sera plus fruité que si tu prends la chaudière. Un peu comme une pomme qui change de goût une fois la chair en contact avec l’oxygène. »

Des chercheurs québécois croient eux aussi que des facteurs autres que la couleur peuvent orienter la saveur de l’or liquide. De ce nombre, Marie Filteau, professeur­e à la Faculté des sciences de l’agricultur­e et de l’alimentati­on de l’Université Laval, est d’avis que le microbiote de l’eau d’érable a un effet direct sur son goût.

« Le goût du sirop d’érable reste l’un des mystères les mieux gardés de la nature. Mais nous avons trouvé que les micro-organismes naturellem­ent présents dans la sève sont associés à différente­s flaveurs fortement appréciées des consommate­urs. Les priorités de l’industrie portent actuelleme­nt sur des besoins plus pressants que l’éventualit­é d’établir des appellatio­ns d’origine contrôlée. Je demeure toutefois persuadée qu’il serait possible d’en développer sur la base de différence­s qu’on trouve, par exemple, dans la compositio­n microbienn­e de la sève d’une région à l’autre. »

« Il y a encore beaucoup de choses à explorer avec le sirop d’érable », conclut M. Soulière.

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 ?? PHOTOS MARC PLAMONDON ET ISABELLE DE BLOIS ?? Dans son érablière, à Saint-Pierre-Baptiste, dans le Centre-du-Québec, Pier-Alexis Soulière récolte la sève à la chaudière.
PHOTOS MARC PLAMONDON ET ISABELLE DE BLOIS Dans son érablière, à Saint-Pierre-Baptiste, dans le Centre-du-Québec, Pier-Alexis Soulière récolte la sève à la chaudière.

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