Carnet voyage
Les actualités du monde touristique, ici et ailleurs
Ah, ces journalistes de voyage !
Cela nous arrive à tous, j’imagine. Moi, ça vient de m’arriver. Mon délit ? Avoir nourri des attentes démesurées après avoir lu un reportage de voyage. Selon son auteur, Kampot, au Cambodge, est devenu un « havre d’artistes ». Tu parles ! Le bled oublié compte quelques belles villas et maisons de négoce datant du protectorat français, et peut-être bien quelques artistes, mais il compte surtout beaucoup trop d’expatriés bedonnants accompagnés d’une jeune personne du pays. Malaise. « Ce n’était pas comme ça avant la COVID. Il y avait des bars sympas, sans danseuses », me confie Chhean Chanthavy, qui gère le charmant hôtel The Columns. Elle n’y tolère pas le sex trafficking et se désole de la présence d’un nouveau girly bar au coin de la rue… Alors, adieu le « havre », mais non sans avoir visité d’abord La Plantation.
Car qui dit Kampot dit poivre de Kampot, du nom de la province où il est cultivé. Fin XIXe, début XXe siècle, celle-ci connaîtra d’ailleurs tout un boom grâce au « poivre d’Indochine ». La fin du pacte colonial, l’indépendance du pays, en 1953, et des décennies de tumulte entraîneront le déclin de cette culture, mais la voilà qui renaît. En 2010, l’épice reçoit l’appellation IGP (indication géographique protégée). En 2013, un couple franco-belge crée La Plantation et y consacre 20 de ses 50 hectares de cultures bios. Aujourd’hui, 50 000 touristes la visitent en moyenne chaque année pour goûter à ses épices et ses condiments.
M’enfin, qu’a-t-il donc de si particulier, ce poivre ? « Les chefs le considèrent comme le meilleur du monde, car, bien que très doux, il a des arômes uniques liés à son terroir », affirme la guide Marine Bonnefond. Il y a une sceptique dans la poivrière…
Attablée dans la belle maison de bois traditionnelle de La Plantation, je hume la célèbre épice à ses trois stades de maturité. Le grain vert fleure bon la menthe… poivrée ; le noir, l’eucalyptus ; le rouge, le tabac, les fruits rouges ; le blanc (grain rouge débarrassé de sa coque), les agrumes, le romarin. 1-0 pour Marine. Quel délice sera ce poivre rouge sur un morceau de chocolat noir de chez nous ! laplantation.com
Décoloniser les destinations
Récemment, Marie-Julie Gagnon a abordé en ces pages un thème qui concerne plusieurs coins du monde : la décolonisation du tourisme. En tant que peuple ayant été colonisé, nous, Québécois, avons bien connu ce regard condescendant du seigneur sur ses sujets « nés pour un petit pain ». Nous y avons mis le temps, mais aujourd’hui, à défaut d’être maîtres de la boulangerie, nous en possédons au moins le stock. Merci, Québec inc.
Ma collègue évoquait donc les comportements de colonisateurs que certains touristes, se sentant, inconsciemment ou pas, supérieurs à la population locale, peuvent avoir. Pendant mon voyage au Cambodge, considéré comme l’un des pays les plus pauvres de la région, selon l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est, la présence marquée d’investisseurs étrangers a suscité chez moi un questionnement similaire. Nul procès d’intention ici, mais… investir dans un contexte de main-d’oeuvre bon marché représente-t-il une forme de néocolonialisme ?
Cofondatrice de La Plantation, la Française Nathalie Chaboche rétorque qu’elle n’est pas venue au Cambodge avec son conjoint « pour s’enrichir ». « Nous souhaitions développer un projet qui ait du sens avec l’argent que nous avions gagné durant notre carrière dans l’informatique », fait-elle valoir. Membre de la World Fair Trade Organization, l’entreprise réunit par contrat de commerce équitable une centaine de fermes familiales desquelles elle achète la production. Enfin, le couple a également créé les Écoles de La Plantation, une association qui soutient les établissements scolaires sur place afin d’offrir aux enfants une éducation de qualité. Bravo !
M’est avis que c’est le respect manifesté à la population locale qui permet de distinguer l’investisseur de l’investisseur-colonisateur — nommément, ici, la Chine. Un exemple de ses méfaits ? Sihanoukville, défigurée par une multitude d’hôtels et de casinos inachevés pour cause de pandémie. Je me suis empressée de fuir son décor d’apocalypse pour mettre les voiles sur Koh Rong. C’est une île de rêve ancrée dans le golfe de Thaïlande où l’empire du Milieu n’a pas encore trop sévi. De fait, je n’y aurai vu qu’un seul girly bar…