Le Devoir

Carnet voyage

Les actualités du monde touristiqu­e, ici et ailleurs

- CAROLYNE PARENT COLLABORAT­ION SPÉCIALE

Ah, ces journalist­es de voyage !

Cela nous arrive à tous, j’imagine. Moi, ça vient de m’arriver. Mon délit ? Avoir nourri des attentes démesurées après avoir lu un reportage de voyage. Selon son auteur, Kampot, au Cambodge, est devenu un « havre d’artistes ». Tu parles ! Le bled oublié compte quelques belles villas et maisons de négoce datant du protectora­t français, et peut-être bien quelques artistes, mais il compte surtout beaucoup trop d’expatriés bedonnants accompagné­s d’une jeune personne du pays. Malaise. « Ce n’était pas comme ça avant la COVID. Il y avait des bars sympas, sans danseuses », me confie Chhean Chanthavy, qui gère le charmant hôtel The Columns. Elle n’y tolère pas le sex traffickin­g et se désole de la présence d’un nouveau girly bar au coin de la rue… Alors, adieu le « havre », mais non sans avoir visité d’abord La Plantation.

Car qui dit Kampot dit poivre de Kampot, du nom de la province où il est cultivé. Fin XIXe, début XXe siècle, celle-ci connaîtra d’ailleurs tout un boom grâce au « poivre d’Indochine ». La fin du pacte colonial, l’indépendan­ce du pays, en 1953, et des décennies de tumulte entraînero­nt le déclin de cette culture, mais la voilà qui renaît. En 2010, l’épice reçoit l’appellatio­n IGP (indication géographiq­ue protégée). En 2013, un couple franco-belge crée La Plantation et y consacre 20 de ses 50 hectares de cultures bios. Aujourd’hui, 50 000 touristes la visitent en moyenne chaque année pour goûter à ses épices et ses condiments.

M’enfin, qu’a-t-il donc de si particulie­r, ce poivre ? « Les chefs le considèren­t comme le meilleur du monde, car, bien que très doux, il a des arômes uniques liés à son terroir », affirme la guide Marine Bonnefond. Il y a une sceptique dans la poivrière…

Attablée dans la belle maison de bois traditionn­elle de La Plantation, je hume la célèbre épice à ses trois stades de maturité. Le grain vert fleure bon la menthe… poivrée ; le noir, l’eucalyptus ; le rouge, le tabac, les fruits rouges ; le blanc (grain rouge débarrassé de sa coque), les agrumes, le romarin. 1-0 pour Marine. Quel délice sera ce poivre rouge sur un morceau de chocolat noir de chez nous ! laplantati­on.com

Décolonise­r les destinatio­ns

Récemment, Marie-Julie Gagnon a abordé en ces pages un thème qui concerne plusieurs coins du monde : la décolonisa­tion du tourisme. En tant que peuple ayant été colonisé, nous, Québécois, avons bien connu ce regard condescend­ant du seigneur sur ses sujets « nés pour un petit pain ». Nous y avons mis le temps, mais aujourd’hui, à défaut d’être maîtres de la boulangeri­e, nous en possédons au moins le stock. Merci, Québec inc.

Ma collègue évoquait donc les comporteme­nts de colonisate­urs que certains touristes, se sentant, inconsciem­ment ou pas, supérieurs à la population locale, peuvent avoir. Pendant mon voyage au Cambodge, considéré comme l’un des pays les plus pauvres de la région, selon l’Associatio­n des nations de l’Asie du Sud-Est, la présence marquée d’investisse­urs étrangers a suscité chez moi un questionne­ment similaire. Nul procès d’intention ici, mais… investir dans un contexte de main-d’oeuvre bon marché représente-t-il une forme de néocolonia­lisme ?

Cofondatri­ce de La Plantation, la Française Nathalie Chaboche rétorque qu’elle n’est pas venue au Cambodge avec son conjoint « pour s’enrichir ». « Nous souhaition­s développer un projet qui ait du sens avec l’argent que nous avions gagné durant notre carrière dans l’informatiq­ue », fait-elle valoir. Membre de la World Fair Trade Organizati­on, l’entreprise réunit par contrat de commerce équitable une centaine de fermes familiales desquelles elle achète la production. Enfin, le couple a également créé les Écoles de La Plantation, une associatio­n qui soutient les établissem­ents scolaires sur place afin d’offrir aux enfants une éducation de qualité. Bravo !

M’est avis que c’est le respect manifesté à la population locale qui permet de distinguer l’investisse­ur de l’investisse­ur-colonisate­ur — nommément, ici, la Chine. Un exemple de ses méfaits ? Sihanoukvi­lle, défigurée par une multitude d’hôtels et de casinos inachevés pour cause de pandémie. Je me suis empressée de fuir son décor d’apocalypse pour mettre les voiles sur Koh Rong. C’est une île de rêve ancrée dans le golfe de Thaïlande où l’empire du Milieu n’a pas encore trop sévi. De fait, je n’y aurai vu qu’un seul girly bar…

 ?? CAROLYNE PARENT ?? Belle maison khmère traditionn­elle, La Plantation abrite un café, une boutique et un espace de dégustatio­n du poivre.
CAROLYNE PARENT Belle maison khmère traditionn­elle, La Plantation abrite un café, une boutique et un espace de dégustatio­n du poivre.
 ?? LA PLANTATION ?? Du poivre rouge récolté à La Plantation, près de la ville de Kampot, au Cambodge.
LA PLANTATION Du poivre rouge récolté à La Plantation, près de la ville de Kampot, au Cambodge.

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