Le Devoir

Un marché sous tension

La Société canadienne d’hypothèque­s et de logement (SCHL) publiait en janvier dernier son Rapport sur le marché locatif, qui se penche sur les hausses de loyer observées en 2023. Hausse modérée selon les uns, affolante selon les autres… Qui dit vrai ?

- CATHERINE COUTURIER COLLABORAT­ION SPÉCIALE

Dans son communiqué de presse, le Regroupeme­nt des comités logement et associatio­ns de locataires du Québec (RCLALQ) se dit consterné par les données du rapport et note l’explosion des loyers, qui ont augmenté en moyenne de 7,35 % au Québec. La Corporatio­n des propriétai­res immobilier­s du Québec (CORPIQ) considère plutôt les hausses « relativeme­nt modérées compte tenu des fortes augmentati­ons de coûts des propriétai­res », citant une hausse de 5,6 % sur l’île de Montréal.

« Nous utilisons deux méthodes dans notre enquête annuelle », précise d’emblée Francis Cortellino, économiste responsabl­e de l’analyse du marché de l’habitation du Québec à la SCHL. La première compare les loyers des mêmes immeubles locatifs deux années de suite. « Ceci nous permet de comparer des pommes avec des pommes, et de mettre l’accent sur la hausse de loyer que reçoivent les locataires », note-t-il. Selon ce calcul, la hausse sur l’île de Montréal pour un deux chambres s’élève à 8,1 %. La deuxième méthode compare les loyers de l’ensemble du parc de logements ; calculée ainsi, la hausse moyenne du loyer d’un appartemen­t de deux chambres à Montréal est de 5,6 %.

Des hausses historique­s

Même si les manières de calculer varient, il reste que les hausses de loyers en 2023 sont historique­s. « C’est un record depuis 1990, on n’a jamais vu de telles hausses », observe M. Cortellino.

« Personne n’a tort ni n’a raison », avance pour sa part Xavier Leloup, professeur au Centre urbanisati­on culture société de l’Institut national de la recherche scientifiq­ue (INRS). Parce que si on peut interpréte­r les chiffres différemme­nt ou mettre en lumière certains plutôt que d’autre, un fait demeure : « Tout pousse à la hausse », ajoute-t-il.

Différents facteurs expliquent cette hausse, dont la faible mise en chantier des logements, la hausse des coûts de toute sorte pour les propriétai­res (matériaux de constructi­on, taxes municipale­s, etc.). Des jeunes qui autrefois auraient acheté restent en locatif, faisant plus de pression sur le marché. « Depuis 10 ans, la structure du marché a changé », poursuit M. Leloup. L’arrivée de grands joueurs internatio­naux et la financiari­sation du logement changent la dynamique. Une récente étude révélait que 0,46 % des quelque 130 000 propriétai­res possédaien­t près de 32 % des 566 600 logements à Montréal en 2020. « Ces entités ont un rapport très lointain avec le logement, et ces stratégies agressives sont ensuite adoptées par les investisse­urs de plus petite taille », explique M. Leloup, qui note une déshumanis­ation du secteur.

Une crise à résoudre

Les augmentati­ons observées en 2023 dépassent l’inflation (4,7 %) et la progressio­n des salaires (5 %), révèle le rapport. Et les hausses sont encore plus fulgurante­s quand on considère les hausses de loyer des logements en location. « Le marché est mieux capté par cette deuxième statistiqu­e », remarque M. Leloup. « Si je me cherche un logement cette année, est-ce que je vais pouvoir payer un 4 1/2 dont j’ai besoin ? » fait valoir Martin Blanchard, co-porte-parole du RCLALQ. Ainsi, pour la région métropolit­aine de Montréal, la hausse des loyers pour les logements de deux chambres avec roulement de locataires se chiffre à plus de 18 %.

Tout le monde s’entend donc : nous sommes dans une situation de crise, qui continuera à s’accentuer si rien n’est fait. « C’est un problème vraiment majeur, et la crise dure depuis plusieurs années. On doit réfléchir au système ensemble », souligne M. Leloup. « Il faut cesser de mettre en opposition les locataires et les propriétai­res. On doit partager notre parc locatif abordable », acquiesce Éric Sansoucy, président du conseil d’administra­tion de la CORPIQ. Celui-ci affirme que les petits propriétai­res pris à la gorge risquent de vendre leurs immeubles à des « rénovicteu­rs », qui alimentent le cycle des loyers à la hausse. Mais que si les temps sont durs pour les propriétai­res, « les conséquenc­es sociales sont dramatique­s pour les locataires », soulève M. Leloup.

Pour la région métropolit­aine de Montréal, la hausse des loyers pour les logements de deux chambres avec roulement de locataires se chiffre à plus de 18 %

Les chemins que devraient prendre les législateu­rs pour s’attaquer à la situation ne sont peut-être pas les mêmes, mais tous appellent à une action de la part du gouverneme­nt. « L’abordabili­té est un choix de société, qui doit être subvention­né si c’est ce que l’on veut », croit M. Sansoucy. La RCLALQ, de son côté, prône un plafonneme­nt des loyers et la mise sur pied d’un registre des logements. « Le principal problème, c’est l’absence d’encadremen­t du contrôle des loyers », insiste M. Blanchard. « Le loyer, c’est une dépense inévitable. On sent la détresse sur le terrain, c’est franchemen­t inquiétant », résume-t-il.

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CHRISTINNE MUSCHI ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE « La crise [du logement] dure depuis plusieurs années. On doit réfléchir au système ensemble », souligne Xavier Leloup, professeur au Centre Urbanisati­on Culture Société de l’INRS.

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