Quelles conséquences pour les locataires?
Plusieurs organismes s’inquiètent de voir la crise du logement s’accentuer avec l’article 7 du projet de loi 31, qui modifie les conditions de cession de bail, et plusieurs sonnent l’alarme quant à ses répercussions sur certains locataires, notamment les femmes et les groupes marginalisés.
Déposée par la ministre responsable de l’Habitation, France-Élaine Duranceau, en juin 2023 et sanctionnée le 21 février dernier, la loi modifiant diverses dispositions législatives en matière d’habitation (projet de loi 31) a créé une onde de choc chez les organismes qui défendent les droits des locataires, notamment en raison de l’article qui modifie les règles entourant la cession de bail. « Le plus gros enjeu avec cet article de loi, affirme David Searle, avocat et spécialiste en droit du logement, c’est la mésinformation. Beaucoup pensent que les locataires n’ont plus le droit de céder leur bail, ce qui est complètement faux. »
Hausse des loyers et discrimination
Avant l’entrée en vigueur du projet de loi 31, un locateur ne pouvait refuser une cession de bail sans motif sérieux. « En pratique, cependant, beaucoup de propriétaires refusaient une cession sans raison valable », mentionne M. Searle. Depuis le 21 février, une cession de bail peut être rejetée par un locateur sans explication. Le locataire est alors libéré de son bail et le locateur est libre de louer son logement à qui il le souhaite. « Il y a une exception. Si le locateur a un motif valable, il peut refuser la cession et le locataire reste lié à son bail, précise l’avocat. Le problème d’avant risque donc de se reproduire, certains propriétaires se permettront d’interdire une cession pour des peccadilles parce que les gens ne connaissent ni la loi ni leur droit ».
Pour justifier les modifications au droit de cession de bail, Mme Duranceau faisait entre autres valoir l’idée que certains locataires profitaient de leur cession de bail pour « vendre » leur logement au plus offrant, et que la relation entre locataires et propriétaires démarrait en mauvais termes, ceux-ci n’ayant pas choisi ceux-là. « Ce n’est pas faux, admet David Searle, mais l’article 7 amènera d’autres types d’abus. »
Parce qu’une cession de bail empêchait un propriétaire, avant le 21 février, d’augmenter son loyer, « elle permettait de faire en sorte que les loyers bas se lèguent au sein d’une même communauté marginalisée, soutient Marie-Ève Desroches, responsable de la vie associative et de la concertation à la Table des groupes de femmes de Montréal (TGFM). Dorénavant, un propriétaire pourra refuser une cession facilement, libérer son locataire, donner un coup de pinceau à son logement et le relouer beaucoup plus cher. »
Selon elle, cet article de loi risque d’exacerber la discrimination dans le choix du locataire. En conférence de presse avec divers organismes féministes et en défense du droit au logement le 8 mars dernier, Mme Desroches affirmait que la crise du logement actuelle « intensifie la compétition entre locataires, ce qui accentue les inégalités entre les femmes et les hommes, mais aussi entre les femmes elles-mêmes. » La durée de séjour a plus que doublé dans les centres d’hébergement pour femmes avec la pandémie, mais cette durée n’est pas revenue à la normale. « Et ça risque de s’intensifier, car quel propriétaire va choisir une femme monoparentale avec deux enfants qui sort d’un centre d’hébergement ? demande Marie-Ève Desroches. Voilà à qui venaient en aide les cessions de baux avant la loi 31. »
Quelques solutions
En revanche, dans ce projet de loi, selon M. Searle, quelques mesures permettent d’atténuer la crise. Il y a un plus grand contrôle sur les évictions, par exemple. Également, le propriétaire a maintenant l’obligation d’inscrire le montant du loyer payé dans les 12 derniers mois. S’il inscrit un chiffre mensonger ou s’il demande un loyer supérieur à ce que la grille du Tribunal administratif du logement (TAL) le permet, le nouveau locataire d’une cession de bail par exemple, peut, même s’il a déjà signé son bail, demander une fixation de loyer au TAL. Ainsi, théoriquement, les hausses abusives de loyers sont plus difficiles, mais, en pratique, « peu de locataires ont envie de mal débuter leur relation avec leur propriétaire, mentionne l’avocat. De plus, oui, les locateurs ont des recours, mais le gouvernement nous demande de désengorger le système de justice. On a donc un problème ! »
« Le plus gros enjeu avec cet article de loi, c’est la mésinformation. Beaucoup pensent que les locataires n’ont plus le droit de céder leur bail, ce qui est complètement faux. »
La TGFM a fait une demande de rencontre à la ministre Duranceau pour discuter des questions liées à l’habitation dans une perspective genrée, demande demeurée sans réponse. « Il faut considérer le logement comme un axe d’action pour aider les groupes discriminés et les femmes », avance M Desroches. Le gouvernement
me fédéral souhaite que 25 % du budget versé aux provinces pour la création de logements abordables soit investi dans des projets d’habitation qui répondent aux besoins des femmes, mais « Québec rétorque qu’il va injecter cet argent selon ce qu’il considère, lui, être une priorité, soutient Marie-Ève Desroches, et visiblement, construire davantage de logements sociaux n’en est pas une. » M. Searle ajoute qu’il faut aussi instaurer un registre de contrôle des loyers puisque la cession de bail « ne devrait pas servir à ça. » De toute évidence, comme l’affirme Mme Desroches, toute politique n’est pas neutre et l’article 7 du projet de loi 31 risque fort, aux yeux de plusieurs, de creuser les inégalités.