Le Devoir

Quelles perspectiv­es pour les jeunes adultes ?

- PERRINE LARSIMONT COLLABORAT­ION SPÉCIALE

Un marché locatif qui se resserre, les loyers et le prix des propriétés qui grimpent en flèche. La dynamique s’est bien installée au Québec comme au Canada, limitant l’accès au logement de plusieurs groupes. Au Centre Urbanisati­on Culture Société de l’Institut national de la recherche scientifiq­ue (INRS), le chercheur Nick Revington en étudie les effets sur les jeunes adultes.

La crise de l’habitation ne faiblit pas au pays qui a vu le taux d’inoccupati­on des logements locatifs descendre à 1,5 % en 2023, selon le rapport sur le marché locatif de 2024 de la Société canadienne d’hypothèque­s et de logement (SCHL). Dans les centres urbains du Québec (au-delà de 10 000 habitants), les données gouverneme­ntales indiquent que ce taux est descendu à 1,3 % au cours de la dernière année. Il s’agit de son niveau le plus bas depuis 20 ans.

Cette situation pousse les loyers à la hausse, notamment ceux des appartemen­ts qui ont augmenté d’environ 12 % à l’échelle nationale et de 9 % dans la province entre les mois de février 2023 et 2024, selon le dernier rapport sur le logement de Rentals.ca.

Or, ce sont surtout les jeunes qui sont les plus susceptibl­es de louer un logement. Les données du recensemen­t de 2021 ont ainsi permis d’établir que 63 % des personnes âgées de 15 à 29 ans qui assurent le soutien de leur ménage sont locataires (contre 33 % pour la moyenne nationale). « Cette situation peut rendre ce groupe plus vulnérable lors de changement­s brusques sur le marché du logement et de la location », souligne une enquête de Statistiqu­e Canada diffusée l’automne dernier.

Les étudiants, un groupe précaire

Parce qu’ils ont des revenus limités, les étudiants sont particuliè­rement vulnérable­s à la crise du logement.

Et l’éclaircie n’est pas pour demain, selon Nick Revington. « Je pense que les choses vont malheureus­ement se resserrer davantage avant de s’assouplir », prévient le professeur, qui estime que les mesures mises en place à tous les niveaux de pouvoir ne sont pas suffisante­s pour améliorer l’accès des étudiants au logement.

Dans son budget 2024 présenté le 12 mars, le gouverneme­nt québécois prévoit notamment 7,5 millions de dollars sur cinq ans pour accroître le nombre de logements pour les étudiants et entretenir le parc immobilier. « Je pense que ce petit montant vise à inciter le secteur privé à investir. Mais j’ai peu d’espoir que cela ait un impact important sur l’abordabili­té, car les résidences étudiantes privées sont souvent haut de gamme, donc en moyenne plus chères que le marché locatif privé. »

Au niveau fédéral, le professeur salue le programme des prêts à faible coût aux établissem­ents postsecond­aires, OBNL et promoteurs privés qui se voient ainsi encouragés à construire des résidences étudiantes à partir de cet automne. « Ce n’est pas la solution en tant que telle, mais c’est vraiment un pas dans la bonne direction. »

Autre piste intéressan­te que M. Revington aimerait voir davantage soutenue par les pouvoirs publics : la constructi­on de logements par des entreprise­s d’économie sociale dont le modèle de financemen­t permet aux loyers d’échapper à la spéculatio­n. Élargir ce type d’offre pourrait être spécialeme­nt pertinent puisque, selon le professeur, les étudiants sont victimes de discrimina­tion dans les secteurs résidentie­ls de certaines villes au Canada. « On voit beaucoup d’efforts dans les règles urbanistiq­ues pour limiter les possibilit­és d’aménagemen­t — par exemple, la conversion d’une maison unifamilia­le en duplex ». Selon lui, ces mesures réduisent l’offre de logements pour cette population, dans le but d’éviter qu’elle amène des nuisances aux communauté­s, telles que le bruit et le manque d’entretien des logis.

Quant au plafonneme­nt pour deux ans des permis d’étude, et qui porte à 360 000 le nombre d’étudiants étrangers acceptés au Canada cette année (une baisse de 35 % par rapport à 2023), la mesure passe à côté du problème, estime le professeur. « Je ne pense pas que cela aura beaucoup d’effet, parce que le manque de logements abordables est lié à toutes sortes d’autres problèmes. »

Accès difficile à la propriété

Parmi ces problèmes, il évoque la culture qui entoure l’accès à la propriété. « L’idée, aujourd’hui, est qu’il faut avoir une maison qui va augmenter en valeur afin que cet actif puisse financer la retraite ou permettre de passer un patrimoine à ses enfants. Mais cette vision est complèteme­nt contradict­oire avec celle de maintenir l’abordabili­té du logement en général. » Afin de contrer la tendance, le chercheur plaide notamment pour l’améliorati­on des régimes de retraite, de sorte que jouir d’une qualité de vie décente au sortir de la carrière profession­nelle ne soit pas conditionn­é par l’achat d’une habitation.

En attendant, les prix des propriétés grimpent (+7,6 % au Canada entre 2023 et 2024), et le revenu requis pour être admissible à un prêt hypothécai­re pour une habitation à prix moyen s’élevait à 141 857 $ l’année dernière au Canada, selon le prêteur hypothécai­re Nesto. Au Québec, ce montant était en moyenne de 97 462 $. La part de jeunes adultes pouvant y accéder est donc restreinte. « Ça va surtout concerner ceux qui ont un revenu très élevé, mais aussi ceux qui ont de la famille ou des soutiens qui peuvent les aider. »

Plus de logements sociaux

7,5 millions C’est la somme accordée sur cinq ans par le gouverneme­nt provincial, dans son budget présenté le 12 mars dernier, pour accroître le nombre de logements pour les étudiants et entretenir le parc immobilier.

Les besoins sont criants. En septembre dernier, la SCHL estimait que le Canada aurait besoin de près de 3,5 millions de logements en plus de ceux déjà en constructi­on pour rétablir l’abordabili­té d’ici 2023, dont 860 000 au Québec.

Pour Nick Revington, ce qu’il faut pour retrouver et préserver l’abordabili­té, notamment pour les jeunes, c’est construire des logements sociaux. « Vraiment beaucoup », insiste-t-il. « Tout le monde n’aime pas l’entendre, mais c’est la réalité. Cela va non seulement offrir des loyers abordables, mais aussi faire baisser la pression sur le marché privé », et par là même les loyers.

Pour cette raison, le chercheur estime que le budget du Québec 2024 — qui ne prévoit pas de nouvel investisse­ment pour ce type d’habitation — démontre que le gouverneme­nt ne prend pas la crise du logement au sérieux.

 ?? JULIEN CADENA ARCHIVES LE DEVOIR ?? Les données du recensemen­t de 2021 ont permis d’établir que 63 % des personnes âgées de 15 à 29 ans qui assurent le soutien de leur ménage sont locataires (contre 33 % pour la moyenne nationale).
JULIEN CADENA ARCHIVES LE DEVOIR Les données du recensemen­t de 2021 ont permis d’établir que 63 % des personnes âgées de 15 à 29 ans qui assurent le soutien de leur ménage sont locataires (contre 33 % pour la moyenne nationale).

Newspapers in French

Newspapers from Canada