Le Devoir

Sortir de la violence, mais pour aller où ?

La durée des séjours dans les maisons pour femmes bondit, faute de logements disponible­s

- FLORENCE MORIN-MARTEL LE DEVOIR

En trois ans, la durée moyenne de séjour des 43 établissem­ents du Regroupeme­nt des maisons pour femmes victimes de violence conjugale a bondi de près de 20 %. Une fois prêtes à quitter ces centres, des usagères se heurtent notamment au manque de logements abordables.

Selon l’organisme, la durée moyenne de séjour dans ces foyers d’urgence, qui reçoivent celles qui quittent un milieu violent, est passée de 32 jours en 2019-2020 à 38 en 2022-2023 au Québec. « Ça nous dit que la situation de celles qu’on accueille est désormais plus complexe », souligne Louise Riendeau, coresponsa­ble des dossiers politiques au Regroupeme­nt.

Si des femmes doivent demeurer plus longtemps en centres d’hébergemen­t, c’est notamment en raison de la crise du logement, soutient Mme Riendeau. Elles peinent à se trouver un endroit abordable où aller habiter, explique-telle. « Et ce, même dans des régions où il n’y avait pas de problème avant. »

En 2022-2023, les foyers membres du Regroupeme­nt ont accueilli en tout 3269 femmes. « Quand ces dernières sont prêtes à quitter nos maisons, mais qu’elles sont obligées de rester parce qu’elles n’ont pas les moyens de se relocalise­r, ça veut dire qu’elles ne libèrent pas de place pour d’autres qui en ont besoin », relève Louise Riendeau.

« 17 refus par jour »

Il arrive donc souvent que les centres d’hébergemen­t soient pleins, affirme Claudine Thibaudeau, responsabl­e de la formation et du soutien clinique à SOS violence conjugale. Cette ligne dirige les femmes qui la contactent vers l’un des établissem­ents d’urgence pouvant les recevoir. La province en compte une centaine en tout.

Or, du 1er janvier au 11 mars derniers, l’organisme a dû refuser environ 17 demandes d’hébergemen­t par jour, se désole Mme Thibaudeau. Le manque de places dans les maisons est en cause, explique-t-elle.

« Par exemple, si j’ai un appel d’une Montréalai­se [qui souhaite être accueillie dans un foyer], mais que l’endroit que j’ai de plus proche à lui proposer est à Trois-Rivières, il y a de fortes chances qu’elle dise non. »

Chaque refus est un « échec », déplore Claudine Thibaudeau. « On travaille fort dans notre société pour sensibilis­er les gens à détecter la violence conjugale. On les informe qu’il y a de l’aide et qu’ils peuvent nous téléphoner. Puis là, quand on nous appelle, on est forcés de répondre : “Je suis désolée, mais je n’ai pas de place”. Mais une victime qui nous demande d’être hébergée, c’est le dernier recours. C’est toujours une urgence. »

De nouvelles unités doivent donc être créées dans ces établissem­ents, afin de pouvoir accueillir toutes celles qui en ont besoin, souligne Mme Thibaudeau. « Ça fait des années que notre organisme sonne l’alarme et qu’on dit qu’il manque de places. C’est de plus en plus difficile. »

Il faut aussi pouvoir faciliter le départ de celles qui sont prêtes à quitter les centres d’hébergemen­t, affirme Annick Brazeau, présidente du Regroupeme­nt des maisons pour femmes victimes de violence conjugale. Souvent, les mères qui ont plusieurs enfants peinent à se reloger ailleurs, dit-elle. « Ce sont des dossiers dans lesquels ça nous prend plus de temps à avoir des réponses pour des logements. On dirait que la vie est faite pour des familles qui ont besoin de deux ou trois chambres maximum. »

Contacté par Le Devoir, le cabinet de la ministre québécoise responsabl­e de l’Habitation, France-Élaine Duranceau, dit qu’il poursuivra ses efforts afin « d’innover et d’être à l’écoute pour augmenter le nombre de logements sociaux et abordables au Québec ».

« Nous continuons le travail de collaborat­ion avec les organismes pour que ces places additionne­lles voient le jour le plus rapidement possible », ajoute le bureau de Mme Duranceau. Selon des données fournies par la Société d’habitation du Québec, quatre projets de maisons d’hébergemen­t d’urgence sont présenteme­nt en développem­ent, tandis que deux autres sont en chantier.

En plus d’avoir des répercussi­ons sur les maisons d’hébergemen­t, la crise du logement s’ajoute désormais aux raisons pour lesquelles une femme décide de demeurer dans un milieu violent, constate Annick Brazeau. « Maintenant, la peur de ne pas pouvoir se trouver un endroit où rester ou de ne pas y arriver financière­ment est une nouvelle barrière pour celles qui veulent partir. Il faut vraiment trouver des moyens pour les aider à ce niveau-là. »

« Pas capables » de partir

Certaines personnes hésitent donc à joindre la ligne SOS violence conjugale pour discuter de leur départ, car elles estiment qu’elles ne seront « pas capables » de quitter leur domicile, souligne Claudine Thibaudeau. « Mais nous, ce qu’on dit toujours, c’est de nous appeler quand même. Pas besoin d’attendre d’être prête à s’en aller avant de nous contacter. L’idéal est d’avoir du soutien en amont, parce que ça permet justement de se préparer. »

De son côté, Annick Brazeau tient à rassurer les femmes qui s’inquiètent de ne pas pouvoir trouver un logement abordable si elles quittent leur milieu violent. « Il faut qu’elles l’entendent, il y a des possibilit­és pour elles. »

Le programme de supplément au loyer du gouverneme­nt québécois, qui paie une bonne partie du loyer des victimes de violence conjugale, en est un exemple. « Mais il faut que, dès qu’elles arrivent en maison d’hébergemen­t, elles mettent rapidement en branle leurs démarches pour trouver du logement », affirme Mme Brazeau.

Ça fait des années que notre organisme sonne l’alarme et qu’on dit qu’il manque de places. C’est de plus en plus »

difficile. CLAUDINE THIBAUDEAU

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