Le projet de Northvolt ne respecterait pas l’accord mondial pour la biodiversité
Deux experts estiment que le développement de l’usine va à l’encontre de cibles de l’entente signée à Montréal en 2022 et appuyée par Québec et Ottawa
La façon de développer le projet de Northvolt contrevient à des cibles inscrites dans le cadre mondial pour la protection de la biodiversité signé à Montréal en 2022, estiment deux experts consultés par Le Devoir. Les gouvernements du Québec et du Canada se sont engagés à respecter cette entente conçue pour freiner le déclin du vivant sur Terre.
Le Cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal a été adopté à Montréal en décembre 2022, lors de la Conférence des Nations unies sur la biodiversité (COP15). Cet accord, issu de longues négociations, comporte 23 cibles élaborées pour encadrer l’action des États dans la lutte contre l’effritement de la vie sur la planète, considéré comme une crise aussi grave que les dérèglements climatiques.
Or, la façon dont s’implante le projet d’usine de Northvolt à l’heure actuelle soulève de sérieuses questions sur le respect d’« au moins cinq cibles », souligne Dominique Gravel, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en écologie intégrative à l’Université de Sherbrooke.
Il cite en exemple la première cible, soit celle qui prévoit « une planification » territoriale qui permette de « réduire la perte de zones de grande importance pour la biodiversité ». Ce principe n’a pas été respecté dans le cas des autorisations accordées à l’entreprise suédoise, estime-t-il.
Dans leur avis faunique produit dans le cadre de l’analyse de la demande d’autorisation de destruction des milieux humides du site, les experts du ministère de l’Environnement du Québec avaient fait valoir que le terrain avait une « haute valeur écologique ». Leur rapport concluait aussi que « bien qu’en partie perturbé, le site offre un terrain boisé et de nombreux milieux humides dans un territoire fortement urbanisé et agricole, ce qui lui confère une bonne valeur pour la biodiversité faunique ».
Ce terrain ne pourra toutefois plus jouer ce rôle, puisque la superficie de milieux naturels « résiduels » ne sera « pas suffisante pour maintenir les fonctions essentielles au soutien de la biodiversité faunique locale et régionale, en l’occurrence la faune aviaire, les tortues et les chiroptères ».
M. Gravel fait également référence à la deuxième cible, qui mise sur la restauration des écosystèmes « dégradés » afin d’améliorer les « services écosystémiques » et la « connectivité » entre les milieux naturels. « C’était le cas ici, puisque le site a été laissé à l’abandon. J’ai été étonné, comme scientifique, par la qualité de ces milieux. C’est comme si la vie avait vraiment besoin de ces milieux, qui ont été colonisés en très peu de temps, et ils soutenaient certaines espèces. C’est un exemple très éloquent du besoin de ces milieux naturels », qui plus est dans une région où « il n’y en a plus ».
En outre, « il représente l’un des derniers milieux naturels assurant la complémentarité entre les habitats terrestres et aquatiques », en raison de sa proximité avec la rivière Richelieu, selon les experts du gouvernement du Québec.
Espèces en péril
Le spécialiste des enjeux de biodiversité ajoute que le développement du projet semble aller à l’encontre de la quatrième cible de l’accord conclu à la COP15, dans laquelle les États s’engagent à « faire cesser l’extinction d’origine humaine des espèces menacées connues et d’assurer leur rétablissement et leur conservation ». Au moins 21 espèces en péril ont été recensées sur le terrain de Northvolt. « Sur ce site et tout près, il y a des espèces menacées. C’est le cas du chevalier cuivré, de la disparition duquel on pourrait être responsable. Il n’y a pourtant pas de mesure prise actuellement pour cette espèce », fait valoir Dominique Gravel.
Professeure au Département des sciences biologiques de l’UQAM, Tanya Handa juge elle aussi que le développement en cours et prévu représente des risques supplémentaires pour certaines espèces menacées.
Elle cite le cas de la destruction autorisée d’un site de 1700 m2 qui est un habitat pour trois espèces de tortues en péril, dont la tortue-molle à épines, qui est « en voie de disparition ». En guise de compensation, Northvolt prévoit toutefois « la création d’un habitat pour les tortues de nature équivalente » ailleurs sur le site, à même les « milieux résiduels ». L’entreprise a trois ans pour faire approuver son plan, ce que déplore Mme Handa. « On détruit maintenant, et ensuite on va recréer de l’habitat. C’est inquiétant, d’autant plus que la relocalisation n’est pas une recette gagnante assurée. »
La professeure ajoute que les États se sont engagés dans le cadre mondial sur la biodiversité à préserver au moins 30 % de leurs milieux naturels terrestres et aquatiques d’ici 2030. « Dans le sud du Québec, nous sommes vraiment sous le seuil de 30 %. Il faudrait donc tendre vers une perte zéro de milieux naturels. »
De façon plus globale, Tanya Handa insiste sur la nécessité de voir la lutte contre la crise climatique et la lutte contre la perte de biodiversité comme des questions directement liées.
« L’esprit de la COP15, c’est qu’il faut s’attaquer à la crise climatique et à la crise de la biodiversité en même temps, avec les mêmes solutions. C’est quelque chose qui a été abordé souvent durant la conférence, en soulignant le besoin de solutions basées sur la nature. Préserver les milieux naturels nous permet donc de préserver la biodiversité, mais aussi de lutter contre la crise climatique et de s’adapter aux impacts. En acceptant de détruire des milieux naturels, dont des milieux humides, nous ne privilégions pas cet esprit de solutions basées sur la nature. »
En vertu de l’autorisation accordée au début du mois de janvier par le gouvernement Legault, Northvolt devra proposer et faire approuver d’ici trois ans un projet de « restauration et/ou conservation de milieux naturels » pouvant atteindre un maximum de 500 000 m2 « sur un site alternatif », idéalement dans la même région. L’objectif est de « minimiser la perte d’habitats utilisés par la faune, [dont] les espèces en situation précaire ». En ce qui a trait aux milieux humides détruits, une compensation financière de 4,75 millions de dollars a été versée.
Silence de Québec
Le ministre de l’Environnement, Benoit Charette, estime-t-il que le projet de Northvolt, tel qu’il se développe actuellement, respecte les engagements pris dans le cadre de la COP15 ? Son cabinet n’a pas répondu à cette question du Devoir, malgré plusieurs relances.
Le cabinet du ministre fédéral de l’Environnement nous a fait parvenir une déclaration. « L’un des engagements phares du gouvernement depuis la COP15, c’est la protection de 30 % des terres et des eaux d’ici à 2030, le respect des droits et des rôles des peuples autochtones et la lutte contre les principaux facteurs de perte de biodiversité, tels que la pollution et la surexploitation de la nature. Comme dans tout engagement international, les provinces et les territoires ont un important rôle à jouer pour mettre en oeuvre leurs objectifs en matière de biodiversité. »
« Dans le cadre de Northvolt, nous reconnaissons que le Québec attire des investissements historiques de la part d’entreprises du monde entier. Ces investissements peuvent faire croître l’économie et créer des emplois bien rémunérés pour la classe moyenne, aujourd’hui et pour les décennies à venir. Ce sont des signaux encourageants », ajoute le cabinet.
Sur ce site et tout près, il y a des espèces menacées. C’est le cas du chevalier cuivré, de la disparition duquel on pourrait »
ê tre responsable. DOMINIQUE GRAVEL