Le Devoir

Il faut briser le cycle du saumon chez l’humain

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Les oeufs des saumons éclosent en amont des rivières au printemps. Les tacons peuvent passer jusqu’à six ans dans ce milieu qui les a vus naître. Puis une transforma­tion interne les prépare à vivre dans l’eau salée, c’est l’adolescenc­e. À ce moment, l’odeur de la rivière native s’imprègne dans la mémoire des saumoneaux. Ils commencent à nager dans le sens du courant et rejoignent la mer où ils vont passer leur vie de jeunes adultes. Quand vient le temps de pondre, les adultes remontent l’exacte rivière où ils sont nés, les femelles libèrent leurs oeufs dans le gravier du lit de la rivière et le mâle vient les féconder. Et le cycle recommence.

Beaucoup de petits Québécois naissent dans ces banlieues lointaines où ils passent une bonne partie de leur jeunesse. Ils apprennent à connaître ce coin précis de leurs premières années. Puis au début de leur vie de jeunes adultes, ils descendent naturellem­ent en ville pour les études ou pour confluer dans les bars. Ils découvrent un océan d’art, de culture et d’activités dans lequel ils baignent pendant plusieurs années. Ils y rencontren­t l’âme soeur, et les amis peu à peu s’effacent devant le travail jusqu’à la grande nouvelle attendue : la naissance d’un enfant. Mais l’idée d’élever leur progénitur­e en ville les rebute. La première réaction, instinctiv­e, les fait remonter en amont ces grandes autoroutes pour aller donner la vie, par un accoucheme­nt aquatique peutêtre, là où ils sont eux-mêmes nés. Et le cycle recommence.

Plus qu’un dortoir, la banlieue est un incubateur de mauvaises idées. Les enfants n’en ont que faire du jardin du bungalow. Aussitôt que leur âge le leur permettra, ils vont s’évader, affluer vers la ville par tous les moyens. Offrons-leur plutôt une terrasse, un parc urbain et l’effervesce­nce de la grande ville et ils seront tout aussi heureux. J’en veux pour preuve tous les enfants qui grandissen­t ancrés dans mon quartier densément peuplé. Toutes les espèces sont intégrées dans une écologie complexe. La vie en banlieue ira toujours à contre-courant des efforts faits pour protéger notre environnem­ent. Tout autant du point de vue financier, l’expansion incessante de la banlieue est une dérive insoutenab­le. L’intelligen­ce humaine devrait nous inciter à briser ce cycle malsain qui contribue au naufrage de notre milieu de vie. Dominique Godin

Montréal, le 21 mars 2024

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