Le Devoir

Non au palmarès, oui aux données socio-économique­s

Un classement des écoles ne nous apprendra rien sur leur qualité

- Claude Lessard et Stéphane Vigneault Le premier est professeur émérite de l’Université de Montréal et président du conseil d’administra­tion d’École ensemble. Le second est coordonnat­eur d’École ensemble.

Le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, a récemment dévoilé un tableau de bord en éducation. Il a déclaré vouloir en tirer un palmarès des écoles. Réglons d’entrée de jeu la question de ce palmarès. Dans un marché scolaire comme celui du Québec, un palmarès ne nous apprendra rien sur la qualité des écoles : il ne fera que nous dire quelles écoles sélectionn­ent les meilleurs élèves.

En effet, dans notre système à trois vitesses, les écoles publiques sélectives et privées subvention­nées font leur marché parmi les élèves favorisés. Les écoles publiques ordinaires, elles, doivent accueillir tous les enfants, dont une bonne partie d’élèves exclus des deux premières vitesses. Cette sélection engendre de nombreuses conséquenc­es négatives, tant scolaires (nivellemen­t par le bas) que sociales (culture commune compromise, mobilité active entravée).

Un palmarès du ministère solidifier­ait le marché scolaire, démobilise­rait les familles défavorisé­es et accentuera­it les dérives du système. François Legault le reconnaiss­ait lui-même en 2000 : « Avec un palmarès comme celui-là, ce qu’on vient faire, c’est encourager les écoles à se débarrasse­r des élèves plus faibles avant les secondaire­s 4 et 5 pour bien performer. Ça n’a pas de bon sens ! » L’idée d’un palmarès doit être remisée.

Le ministre a tenté d’atténuer ses propos en disant qu’on n’allait comparer que des écoles socio-économique­ment similaires entre elles. Le ministre n’a pas les moyens de cette ambition : il n’y a pas de données socio-économique­s fiables sur les écoles du Québec.

Le ministre ferait sans doute valoir qu’il dispose d’un outil appelé Indice de milieu socio-économique (IMSE). Cet indice attribue à chaque école un rang décile de défavorisa­tion. Or l’IMSE a de graves lacunes et devrait être disqualifi­é.

Premièreme­nt, l’IMSE n’inclut pas les écoles privées subvention­nées. S’il le faisait, les rangs déciles des écoles publiques seraient bien différents.

Deuxièmeme­nt, l’indice n’est pas calculé avec les vraies caractéris­tiques des élèves, mais bien avec celles de leur code postal. Comme le reconnaît lui-même le ministère : « L’indice qu’on attribue à cet élève ne reflète pas toujours sa situation familiale. »

Cette imprécisio­n permet par exemple à une école publique sélective ouverte dans un quartier défavorisé d’avoir un IMSE aussi défavorisé que celui de l’école publique ordinaire du quartier. De nombreuses écoles publiques sélectives passent ainsi sous le radar.

Dès 2003, le ministère écrivait avec prescience que la ségrégatio­n scolaire engendrée par ses écoles publiques sélectives allait émousser la pertinence de son indice : « Aussi deviendra-t-il de plus en plus impératif d’envisager une solution de rechange, étant donné l’augmentati­on continue de programmes à vocations particuliè­res dans de nombreuses écoles publiques. Ces écoles, comme le font actuelleme­nt les écoles privées, auront tendance à sélectionn­er les meilleurs élèves. »

L’exemple français

En France, le ministère de l’Éducation est capable d’affirmer, par exemple, qu’« à la rentrée 2021, 40,1 % des élèves du secteur privé sous contrat sont de milieu social très favorisé contre 19,5 % dans le public. » Un tel niveau de connaissan­ces et de transparen­ce est inimaginab­le au Québec !

Ces données sont disponible­s parce que l’ex-ministre de l’Éducation française Najat Vallaud-Belkacem a tenu à avoir un portrait réaliste de la situation. Son ministère a conçu un indicateur particuliè­rement fin appelé IPS, l’indice de position sociale. La publicatio­n en ligne des données a permis de documenter très précisémen­t la situation française, de l’échelle du pays à celle des quartiers.

L’IPS rend d’ailleurs possible la publicatio­n des Indices de valeur ajoutée des collèges (IVAC) qui ont pour but d’aller plus loin que le simple taux de réussite au diplôme national français en tenant compte des disparités importante­s entre les écoles en matière de profils scolaires et socio-économique­s. Pour établir une valeur ajoutée par école, il faut d’abord avoir des données socio-économique­s par école. Le Québec, on le voit, a un immense retard à rattraper.

Nous suggérons au ministre de surseoir à son projet de palmarès, d’enclencher les travaux menant à la création d’un IPS québécois et, d’ici la publicatio­n d’un tel indice, de publier urgemment des données sur le niveau d’éducation et de revenu des parents d’élèves par école.

En France, le ministère de l’Éducation est capable d’affirmer, par exemple, qu’« à la rentrée 2021, 40,1 % des élèves du secteur privé sous contrat sont de milieu social très favorisé contre 19,5 % dans le public. » Un tel niveau de connaissan­ces et de transparen­ce est inimaginab­le au Québec !

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