Le Devoir

Orgue, ambitions et réalités

L’organiste Thomas Ospital a accompagné plusieurs films, dont The Immigrant, de Charlie Chaplin, pour fêter les 10 ans du Grand Orgue Pierre-Béique

- CHRISTOPHE HUSS LE DEVOIR

L’OSM a organisé une fin de semaine autour des 10 ans du Grand Orgue Pierre-Béique, dont le temps fort était la soirée d’improvisat­ion sur des films muets de la nouvelle vedette de l’orgue, le Français Thomas Ospital. On aurait aimé qu’un si grand talent soit mis à profit d’un projet encore plus ambitieux.

Le grand ordonnateu­r des festivités et organiste en résidence de l’OSM, JeanWilly Kunz, a eu beaucoup de bons mots, dans les colonnes du Devoir samedi, sur le parcours artistique accompli avec le Grand Orgue Pierre-Béique en 10 ans et sur la fin de semaine de festivités marquant cet anniversai­re.

On ne saurait reprocher à Jean-Willy Kunz de prêcher pour sa paroisse. Il est aussi possible d’avoir un regard certes optimiste, mais un peu plus mesuré, sur l’apport de l’orgue dans la programmat­ion globale de l’OSM, qui « occupe » l’orgue, mais ne l’a pas amené à apporter une vraie touche d’originalit­é aux programmes d’orchestre.

Lors d’une entrevue au Devoir intitulée « L’orgue se rebâtit un répertoire » en 2020, Olivier Latry, organiste émérite, avait qualifié le 3e Concerto pour orgue de Thierry Escaich, récemment créé, d’équivalent du 3e Concerto de Rachmanino­v dans son répertoire. Nous espérons la découvrir, et c’est le genre de volonté de creusement d’un répertoire particulie­r orgue-orchestre, au-delà d’un minimum vital, qu’on attend de voir se développer davantage.

Exercice fascinant

Quant au compositeu­r et organiste Thierry Escaish, il était venu en 2016, puis en 2018 pour une renversant­e expérience d’improvisat­ion sur Nosferatu le vampire. Nous ne l’avons pas revu depuis. Pandémie ou pas, six ans, c’est long. À entendre Jean-Willy Kunz nous parler des talents d’improvisat­eur de Thomas Ospital, 34 ans, déjà une des grandes vedettes de l’orgue mondial on pouvait s’attendre à un alter ego d’Escaish.

Ospital est très malin et inventif, et utilise sur le fond les mêmes principes, notamment sur la constructi­on dramatique d’une séquence ou d’une scène au long cours au détriment d’un événement ponctuel. La conscience de « où cette scène va nous mener » est le fondement de l’art de Thomas Ospital comme des meilleurs artisans de cet exercice fascinant de l’art musical et créatif. Ospital part d’une cellule, qu’il développe en volume, en rythmes et en couleurs par la registrati­on, et il le fait brillammen­t.

Un exercice parfait pour cette discipline est Neighbours, de Norman McLaren. Oscar du court métrage en 1952, cette parodie caustique sur la guerre froide menée crescendo est d’une très saisissant­e actualité. Son emballemen­t a été parfaiteme­nt géré par l’organiste, qui avait impeccable­ment synchronis­é la Danse macabre de Saint-Saëns sur Spook Sport du même cinéaste. Des deux nouveaux courts métrages, suscités par la collaborat­ion avec Kino Montréal, c’est Le chanteur, de David Couture, qui a le plus inspiré l’organiste, film malin, joli hommage au cinéma muet où un chanteur rêve de devenir chanteur de charme.

Dans The Immigrant de Chaplin, Ospital débute sur un décalque du Sacre du printemps, puisque nous avons un bateau d’exilés russes. La musique de la 2e partie se fonde largement sur des variations sur l’hymne américain. Les choses sont habilement dosées et mêlées.

Mais la question est ici aussi celle de l’autosatisf­action de l’organisati­on face à la modestie des choses. Tant qu’à faire venir Thomas Ospital et à fêter les dix ans de l’orgue, faut-il faire d’un moyen métrage de Chaplin de 25 minutes tourné en 1917 un événement anniversai­re ? N’y a-t-il vraiment pas un projet plus ambitieux à développer ?

Le catalogue du muet est si riche de chefs-d’oeuvre, dont de nombreux ont été récemment restaurés. Et Docteur Mabuse, et Aurore (de Murnau) et les muets de Lubitsch, ou même, sujet amusant, Les contes d’Hoffmann de Max Neufeld (1923, restauré en 4K) ou les Carmen muets ? On ne demande pas de se plonger dans les Nibelungen de Fritz Lang, film-fleuve en deux parties de plus de 2 heures chacune. Mais tout cela n’est pas à la hauteur des prétention­s.

Les 10 printemps du Grand Orgue Pierre-Béique

Improvisat­ions de Thomas Ospital sur des courts et moyens métrages muets, dont The Immigrant, de Charlie Chaplin, En haut de l’affiche, de Guylaine Marcoux, et Le chanteur, de David Couture, en création et collaborat­ion avec Kino Montréal. Samedi, 23 mars à 19 h 30.

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McFARLANE ARTISTS Le Français Thomas Ospital, 34 ans, est déjà une des grandes vedettes mondiales de l’orgue.

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