« C’est un avion qui s’est construit en plein vol »
La Gaspésie a trouvé « difficile » d’accueillir sa première cohorte d’étudiants à l’automne 2022
« On se dit souvent que c’est un avion qui s’est construit en plein vol. » Philippe Beauchemin, agent d’intégration pour l’organisme Haute-Gaspésie me voici !, ne se raconte pas d’histoires. À l’automne 2022, sa région, pionnière de la phase 1 du programme visant à recruter 1000 infirmières diplômées hors Canada (IDHC), a trouvé « difficile » l’accueil de sa première cohorte.
À Sainte-Anne-des-Monts, ce sont dix étudiants du Maghreb et du Cameroun, sur un total de 37 dans la région (Chandler, Maria et Gaspé), qui sont arrivés… avec leurs familles. « Nous, on a accueilli 10 étudiants, mais au total, on parle de 40 personnes. Et 40 personnes de couleur dans une ville de moins de 7000 habitants majoritairement blancs et catholiques, c’est un bouleversement complet », a-t-il dit.
Selon lui, les organismes n’étaient « pas du tout prêts ». Les défis d’un tel programme financé par le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration ont-ils été sous-estimés ? « Je pense que oui. Dans la phase 1, il y avait une incompréhension de ce que c’était. C’est comme si on avait pris des gens et les avait catapultés en régions éloignées en disant “occupezvous-en !” » relate M. Beauchemin. « On a fait de notre mieux. »
Violences et arnaques
Sans surprise, le logement a été le « problème numéro 1 ». Certains propriétaires en ont profité pour hausser le coût du loyer. « Les étudiants, c’était écrit CISSS dans leur front. Alors il y a eu de l’exploitation, de la violence psychologique et beaucoup d’arnaques », a dit M. Beauchemin.
À Gaspé, où 400 travailleurs temporaires et étudiants sont sur le territoire, la crise du logement est plus sévère, souligne pour sa part Steve Fournier, directeur du Service d’accueil des nouveaux arrivants de La Côte-de-Gaspé.
Le manque de place en garderie a été l’autre problème majeur : il n’y en a pas. « Le ministère m’appelle et me dit que je dois trouver deux-trois places en garderie pour les IDHC. Je veux bien, mais je ne peux pas les faire passer en priorité. » À cela s’ajoute le défi du transport, qui oblige les étudiants à payer les coûts imprévus d’une voiture.
Former ces futures infirmières dans les divers campus du cégep n’a pas été une mince tâche. Trois candidats ont échoué.
« Notre système d’éducation est différent du leur et c’est un programme qui est costaud », a fait remarquer Manuelle Ann Boissonneault, du cégep de la Gaspésie et des Îles. Les étudiants devaient changer d’établissement et se déplacer de ville en ville pour faire les laboratoires, avant que ces derniers ne soient aménagés à même les salles de classe par la suite.
De la terreur… à la joie
À l’automne 2023, l’accueil de la deuxième cohorte a été tout autre, selon Philippe Beauchemin. « Ce qu’on voyait dans les yeux de la première cohorte, c’était de l’anxiété, de la terreur et du mécontentement », dit-il. « Mais avec la deuxième cohorte, c’est de la joie qu’on a vu. »
Selon lui, la « grande erreur » avec la première cohorte a été le manque de communication entre les divers partenaires. « Avec la deuxième cohorte, on s’est toujours parlés. On était mieux préparés et on a développé une grosse semaine d’accueil. » Le contact en amont a également été établi beaucoup plus tôt avec les participants, ajoute-t-il.
À Gaspé, la deuxième cohorte d’étudiants a également pu bénéficier de l’embauche d’une personne supplémentaire qui s’est consacrée à la recherche de logement pour les participants de trois régions, Chandler, Gaspé et Maria. « C’est positif », a reconnu Steve Fournier. « Mais ça en prendrait une par MRC. »
Des résidences étudiantes seront construites à Maria et à Gaspé pour soulager le parc locatif. « C’est dans les mains de la Société de l’habitation du Québec », a précisé Lou Landry, responsable des communications du CISSS de la Gaspésie.
Après tous ces efforts, il ne reste plus qu’à espérer que ces personnes réussissent l’examen de l’Ordre des infirmières et infirmiers, qui a eu lieu mardi, et restent dans la région, avance M. Landry, qui dit avoir confiance. « Ce qu’on entend, c’est que ces personneslà ont la volonté de demeurer ici. »