Le Devoir

Le Québec, ce chantier

- INFRASTRUC­TURES DU RÉSEAU COLLÉGIAL MARIE-ANDRÉE CHOUINARD

Les conditions d’apprentiss­age d’un étudiant sontelles maximales lorsque son pupitre jouxte une chaudière récoltant les fuites d’eau de la toiture éventrée ? Cette question absurde se pose apparemmen­t dans nombre d’établissem­ents d’enseigneme­nt du Québec aux prises avec une telle détériorat­ion de leurs infrastruc­tures qu’ils en sont parfois réduits à condamner des espaces. Depuis décembre, c’est le cas du Cégep de SaintLaure­nt. Le Devoir nous apprenait récemment qu’il a dû prolonger la fermeture de son pavillon B, fermé depuis décembre dernier en raison de problèmes si importants qu’ils menaçaient la sécurité. La situation inquiète et révolte le personnel et les étudiants, qui subiront encore longtemps les contrecoup­s de cette fermeture d’urgence, car les travaux de réfection sur le bâtiment patrimonia­l ne sont pas légers.

Ce genre de scène du quotidien est devenu courant dans le vaste chantier nommé Québec. De ses routes à ses écoles, en passant par ses hôpitaux, cégeps et université­s, notre belle nation a négligé l’entretien de ses infrastruc­tures au point de les voir aujourd’hui se détériorer à la vitesse grand V. Toitures qui coulent, fenêtres à remplacer, systèmes de chauffage et de ventilatio­n à refaire : ce ne sont là que quelques-unes des failles recensées. Le fait d’avoir lésiné sur l’entretien se solde aujourd’hui par un déclin accéléré. Le tout survient à un moment où le secteur de la constructi­on est en surchauffe, ce qui n’allégera ni la facture ni les délais de réfection.

Dans ce Québec aux fondations chambranla­ntes, un réseau tente de tirer son épingle du jeu. Discret, coincé entre les réclamatio­ns des université­s et des écoles, le réseau collégial voit lui aussi ses immeubles et équipement­s se dégrader d’année en année, le financemen­t obtenu ne suffisant pas. Selon les dernières données dévoilées en marge du dépôt du budget du Québec, les 48 cégeps que compte le Québec ont vu la somme de leurs besoins en matière d’entretien des immeubles littéralem­ent doubler en l’espace de trois ans, pour atteindre désormais 700 millions de dollars.

Le document Plans annuels de gestion des investisse­ments publics en infrastruc­tures, lié au budget de dépenses 2024-2025, dépeint un réseau collégial se détérioran­t lentement, mais sûrement, et ce, en raison de la seule « usure normale d’équipement­s ayant atteint leur fin de vie utile ». Soixante-cinq pour cent des 995 bâtiments du réseau récoltent les cotes D et E, qui qualifient les équipement­s vétustes. Les 35 % restants affichent les cotes A, B ou C, jugées satisfaisa­ntes. Le nombre d’immeubles dans ces groupes a encore chuté de 14 % en l’espace d’un an.

Le gouverneme­nt du Québec n’est pas insensible à la problémati­que, puisque d’année en année, il continue d’injecter des sommes faramineus­es dans le Plan québécois des infrastruc­tures. Le PQI 2024-2034 prévoit que Québec investira 153 milliards de dollars, dont 62 % des sommes seront allouées à des travaux visant à assurer la pérennité des infrastruc­tures publiques. Mais les budgets semblent voués à être insuffisan­ts, car les problèmes de détériorat­ion des immeubles sont tels qu’ils ont atteint ce que les experts nomment une phase de contagion, c’est-à-dire qu’un problème en entraîne immédiatem­ent un autre, tous aussi graves et urgents les uns que les autres.

L’an dernier, le premier ministre François Legault et son ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, avaient créé tout un émoi en osant remettre en question la méthode de calcul employée par les centres de services scolaires pour évaluer la vétusté de leurs bâtiments. Affolés peut-être par la facture galopante et l’ampleur infinie du déficit d’entretien des immeubles, les élus n’ont pas gagné beaucoup de points en critiquant aussi ouvertemen­t cette évaluation. Ils avaient peut-être oublié que la désagrégat­ion des infrastruc­tures n’est un secret pour personne puisque ce délabremen­t se joue à ciel ouvert. En 2019, la vérificatr­ice générale (VG) du Québec avait formulé de sérieuses critiques à l’endroit du gouverneme­nt pour sa gestion et sa planificat­ion d’entretien des équipement­s scolaires. La VG lance ce printemps un audit portant sur la gestion du parc immobilier du réseau collégial, dont nous attendrons les conclusion­s avec impatience.

Toutes ces récriminat­ions et déceptions ne concernent que le volet « entretien » des équipement­s, qui ne tient aucunement compte de ce dont le réseau collégial aurait besoin pour développer de nouvelles infrastruc­tures destinées à garantir le succès de sa formation collégiale future. Déçue par les « mesures insuffisan­tes » contenues dans le dernier budget, la Fédération des cégeps en veut davantage pour faire aussi progresser la capacité d’accueil de ses établissem­ents. Elle espère bâtir, pas seulement entretenir ! La réussite continue d’être le premier objectif du réseau, mais comme on le constate, il y a des embûches sur la route. Quand la toiture coule, les conditions d’apprentiss­age ne peuvent pas être optimales.

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