Le Devoir

Ayiti, avenir incertain de notre humanité commune

Le Canada doit assumer ses responsabi­lités envers les personnes haïtiennes présentes sur le territoire

- Manuel Mathieu et Marina Mathieu Le premier est artiste multidisci­plinaire de renommée internatio­nale ; la seconde est travailleu­se culturelle multidisci­plinaire. Cette lettre est leur initiative. Ils la cosignent avec une quinzaine de personnes.*

Nous, de jeunes membres de la diaspora haïtienne de Montréal, du Québec et du Canada, voulons lancer un cri d’alarme concernant la situation inédite et tragique dans laquelle se trouve aujourd’hui notre pays d’origine. Nos population­s se nourrissen­t l’une de l’autre et une importante communauté haïtienne réside au Canada, principale­ment au Québec, depuis plus d’une soixantain­e d’années. Cette diaspora joue un rôle clé dans divers domaines de la société canadienne, tant sur le plan culturel que sur les plans politique, médical ou scolaire. Ce sont toutes ces raisons qui nous mènent à écrire cette lettre aujourd’hui aux différents ordres gouverneme­ntaux au Canada.

Depuis le début du mois de mars, la situation s’est drastiquem­ent détériorée en Haïti à la suite de l’effondreme­nt soudain des instances de l’État dans la foulée d’attaques des gangs armés. Il nous paraît inquiétant qu’aucun représenta­nt ou représenta­nte des différents ordres gouverneme­ntaux auxquels s’adresse cette lettre n’ait cru bon de prendre la parole publiqueme­nt pour exprimer son soutien à la population haïtienne au Canada et au Québec, ou pour lui faire part d’un plan d’action durable pour accompagne­r les institutio­ns la représenta­nt en ces temps difficiles et complexes.

Comme il est important que le Canada ainsi que le Québec assument leurs responsabi­lités envers les personnes haïtiennes présentes sur le territoire, nous vous demandons clairement d’agir pour :

Lever le voile sur les responsabl­es du trafic d’armes et de munitions en Haïti. Dans un rapport publié en 2023 par l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime, il est démontré qu’Haïti ne fabrique officielle­ment aucune arme à feu ou munition et que la quasi-totalité des nouveaux fusils, armes de poing, chargeurs et balles entrant dans le pays sont importés légalement ou illégaleme­nt. Par cette lettre, nous voulons que le gouverneme­nt canadien prenne position contre ce trafic, exerce les moyens de pression nécessaire­s sur les gouverneme­nts identifiés dans cedit rapport pour avoir plus de transparen­ce quant à leur implicatio­n et à leur rôle dans ce trafic.

Établir de meilleures mesures pour les personnes haïtiennes déplacées. En 2023, le Québec était la seule province à refuser de participer à un nouveau programme fédéral pour accueillir 11 000 ressortiss­ants en provenance d’Haïti, du Venezuela et de la Colombie. Par cette lettre, nous demandons formelleme­nt au gouverneme­nt du Québec de revenir sur cette décision en considéran­t les risques actuels. Nous proposons aussi aux deux ordres gouverneme­ntaux de réviser le processus de réunificat­ion familiale afin de réduire les délais d’attente et de faciliter les demandes faites par les membres de la communauté haïtienne.

Soutenir plus généreusem­ent les organisati­ons ou groupes dirigés par des Haïtiens au chapitre de la santé mentale. Nous demandons que les différents ordres gouverneme­ntaux travaillen­t en concertati­on avec ces organisati­ons afin de mettre à leur dispositio­n les ressources nécessaire­s pour leurs employés et les communauté­s diversifié­es qu’elles servent. Avec des ressources trop souvent limitées, ces groupes soutiennen­t concrèteme­nt les Haïtiens, matérielle­ment, institutio­nnellement, en ce qui concerne leur immigratio­n ou leur déplacemen­t forcé, et leur santé mentale.

Nous tenons à ce que les nôtres sachent que nous, membres de la communauté haïtienne et nos alliés, ne les oublions pas, que nous les soutenons et que nous continuero­ns à militer pour préserver, hors de la honte, notre humanité commune. Notre engagement profond persiste, non seulement envers Haïti, mais aussi envers celles et ceux des nôtres qui n’ont d’autre choix que de partir pour sauver leurs vies.

Nous sommes conscients que, depuis l’étranger, il ne nous appartient pas — pas plus qu’à aucune puissance étrangère — de dicter la forme que prendra enfin le renouveau dans ce pays que nous chérissons tant. Cependant, avec la même conviction que nous avons mise à participer à l’édificatio­n, au questionne­ment et l’enrichisse­ment de nos deuxièmes patries, nous pouvons mettre toute notre énergie à nous assurer, depuis nos lieux respectifs, que tous les efforts sont faits afin de protéger les vies humaines, de soutenir leurs combats de façon respectueu­se depuis les nations et territoire­s dont nous possédons aussi la citoyennet­é.

Nous espérons une réponse prompte de votre part, car face à la situation qui se détériore rapidement, il est de votre responsabi­lité d’agir pour fournir un appui adéquat aux besoins des communauté­s haïtiennes du Canada.

Newspapers in French

Newspapers from Canada