Choc culturel au MNBAQ
Pour Tarratuutiq|Taima, des jeunes du Nunavik signent des oeuvres en correspondance avec celles du musée
Là où l’artiste Chih-Chien Wang voyait une ronde pomme de chou vert, la jeune Inuite Iliana Beaulne a vu un ballon de volley-ball taché de diesel.
Placées côte à côte, ces deux oeuvres font partie de l’exposition Tarratuutiq |Taima. Réflexions artistiques et climatiques au Nunavik, qui unit des jeunes de l’école secondaire Iguarsivik, de Puvirnituq, au Musée national des beaux-arts du Québec. En inuktitut, « tarratuutiq » et « taima » signifient « miroir » et « c’est assez ».
Au départ, l’idée était de faire circuler la collection du musée jusqu’aux confins du Québec. « On avait envie que la collection soit accessible à tous les Québécois, donc on voulait aller toucher les régions plus éloignées, particulièrement les communautés autochtones », raconte Sophie LessardLatendresse, responsable de la médiation art et mieux-être au MNBAQ. C’est elle et Justine Boulanger, chargée de contenu éducatif numérique, qui ont établi les premiers contacts avec la commission scolaire Kativik.
Là-bas, à plus de 1000 kilomètres de Québec, une enseignante en arts, Nathalie Claude, qui vit au Nunavik depuis deux ans, a répondu à l’appel. Ce sont ses étudiants qui ont, chacun à leur façon, façonné des oeuvres en écho à celles du musée.
Au milieu des réflexions sur l’opposition entre tradition et modernité, sur les liens communautaires et sur le territoire, c’est ce dernier qui a finalement pris le plus d’importance. Avec ce thème est venu celui des changements climatiques et de la pollution.
Au centre des préoccupations des jeunes, il y avait le dépotoir, raconte leur enseignante Nathalie Claude. C’est un espace énorme, sale, envahissant, où l’on brûle les déchets parce qu’on a nulle part où les mettre, où l’on trouve parfois le meilleur et le pire. Et qui est souvent perçu comme une source de distraction lorsque la maison des jeunes est fermée, parce qu’il y a « un manque criant d’activités pour les jeunes dans le village ».
« Les jeunes Inuits sont tellement à subir que, pour eux, tout est normal, tout semble normal », poursuit l’enseignante.
Tout faire avec rien
Le dépotoir, c’est aussi là que les jeunes ont trouvé beaucoup de costumes, d’objets et même de paysages. Dans une vidéo qui accompagne l’exposition et qui s’intitule ironiquement The Beach, une élève joue du violoncelle juché sur une carcasse d’autobus scolaire. C’est que le bateau qui apporte des denrées au Nunavik tous les six mois ne repart jamais avec les déchets, précise Justine Bouchard. Et c’est la seule région du Québec qui a le droit d’en disposer en les brûlant.
En entrevue, Connie Ittukallak, une jeune Inuite de 17 ans participant à l’exposition, raconte avoir trouvé de la beauté dans les objets du dépotoir de la communauté de Puvirnituq. « Ils sont vieux et rouillés. Mais j’aime en particulier les pneus », note-t-elle. Il y a deux ans, les jeunes s’en sont d’ailleurs servis pour créer un terrain de jeu ; ils les ont peints pour le camp d’été, explique-t-elle.
« Les jeunes sont toujours capables de créer avec rien, et c’est ça qui est fascinant. Si vous observez toutes ces créations, il n’y a aucun budget dans ce projet-là : tout a été fait avec de la récupération », remarque Nathalie Claude.
Quand les déchets brûlent, ça sent très fort ; aussi, l’une des photos prises par le groupe les présente protégés d’un masque à gaz. Velesie Adams, qui signe les créations graphiques de l’exposition, a d’ailleurs représenté un ours polaire avec un masque à gaz. En entrevue, la jeune femme de 18 ans raconte qu’elle observe « plusieurs fois par année » des ours polaires dans sa communauté d’Ivujivik, tout au nord du Nunavik, mais elle sait que ceux-ci ont de moins en moins de banquises pour circuler.
S’inspirant de l’oeuvre topographique Taïga de René Derouin, les élèves inuits ont découpé une carte du Nunavik dans une peau de raton laveur. Le lieu de chacun des villages est marqué par des boîtes de raisins secs SunMaid vides.
« C’est très difficile d’avoir des fruits et des légumes frais dans le Nord. Donc, ce sont ces boîtes de raisins que l’on donne aux élèves en guise de fruits le matin et pour les collations. Il y a beaucoup de jeunes qui n’aiment pas les raisins secs. Les boîtes se retrouvent par terre et deviennent des objets polluants », explique Sophie Lessard-Latendresse. Et « sur les boîtes de raisins, il y a aussi l’image de la femme blanche, qui représente la présence, en fait, de l’homme blanc au Nunavik. Donc, dans chaque oeuvre il y a un peu toutes ces couches-là », poursuit-elle.
Communiquer par l’art
Dans un contexte où l’éducation est entièrement en inuktitut jusqu’à la troisième année du primaire pour passer ensuite en langue seconde — l’anglais ou le français, au choix —, l’art devient un puissant moyen de communication. Connie Ittukallak et Velesie Adams sont toutes deux scolarisées en français, bien que l’entrevue se déroule en anglais et qu’elles parlent inuktitut à la maison.
Mercredi, elles seront au MNBAQ pour rencontrer le public au sujet de Tarratuutiq|Taima.
L’an prochain, elles devront déménager dans le Sud afin de poursuivre leurs études, puisqu’il n’y a aucun établissement postsecondaire au Nunavik. « C’est sûr qu’on va s’ennuyer de la chasse », confie déjà Connie.
En entrevue, cette dernière note que la perception de l’art peut différer entre le Nord et le Sud. « Nous savons ce qui est beau, et ce qui fait nous sentir bien, en particulier dans la nature. » Les effets des changements climatiques, d’ailleurs, y sont omniprésents. « Nous sentons que les saisons changent d’une certaine façon. C’est plus humide. Le froid arrive plus tard dans la baie du Nord. […] Je ne sais pas comment on va s’adapter. Nous sommes tellement modernisés maintenant. »
« À Ivujivik, il y a moins de neige. Ça s’observe surtout dans les mois de décembre et de janvier, qui sont traditionnellement les plus froids », poursuit Velesie.
Tarratuutiq|Taima Réflexions artistiques et climatiques du Nunavik Au Musée national des beaux-arts du Québec, pavillon Pierre Lassonde, jusqu’au 2 juin