Le Devoir

Les enseignant­s craignent que les cours à distance servent de solution à la vétusté des cégeps

- ÉDUCATION ZACHARIE GOUDREAULT

Des organisati­ons syndicales dans le milieu de l’enseigneme­nt craignent que la dégradatio­n de l’état des cégeps au Québec contribue à une hausse du nombre de cours offerts en ligne. La qualité de l’enseigneme­nt et de l’expérience étudiante pourrait en pâtir, affirment-elles au Devoir, tandis que des cégeps assurent que ce virage numérique n’est pas une manière de réaliser des économies.

Il est difficile d’obtenir un portrait juste de la transition vers une offre grandissan­te de cours à distance qui s’opère depuis quelques années dans les cégeps de la province. Par courriel, le ministère de l’Enseigneme­nt supérieur affirme ne compiler aucune donnée à cet effet. Plusieurs cégeps, parmi les 26 joints par Le Devoir, ont toutefois confirmé que le nombre de cours offerts entièremen­t en ligne, à la formation régulière ou continue, a connu une croissance marquée depuis 2019.

Ainsi, au Cégep de La Pocatière, le nombre de cours offerts uniquement à distance à la formation régulière est passé de 4 à 17 entre 2019 et aujourd’hui, tandis qu’il a bondi de 19 à 28 cours au sein du Cégep de l’AbitibiTém­iscamingue, qui compte trois campus dans la région. Des données fournies au Devoir par le centre de formation Cégep virtuel, qui supervise l’offre de cours en ligne de 16 cégeps partenaire­s, indiquent que le nombre d’étudiants inscrits est passé de 1142 en 2019 à 3346 l’an dernier.

« La formation en ligne, c’est un phénomène de fond qui progresse et qui va continuer de progresser. C’est, à mon avis, inéluctabl­e », affirme en entrevue le président-directeur général de la Fédération des cégeps, Bernard Tremblay, selon qui ce virage « dépasse la commodité reliée à la pandémie ». « C’est quelque chose qui est tout à fait présent, qui va continuer d’être présent, il faut vivre avec le phénomène », poursuit-il. Il souligne toutefois qu’il est « fondamenta­l » que l’augmentati­on de l’offre de cours en ligne n’ait pas lieu dans l’optique « d’économiser des espaces physiques » dans les cégeps, qui ont un rôle social important. « Il faut que l’endroit soit stimulant pour faciliter la réussite scolaire. »

Or, tant la Fédération nationale des enseignant­es et des enseignant­s du Québec (FNEEQ-CSN) que la Fédération

de l’enseigneme­nt collégial (FECCSQ) craignent justement que le recours à des cours à distance soit vu comme un moyen de réagir à la croissance rapide du déficit de maintien des actifs du réseau collégial, qui dépasse maintenant les 700 millions de dollars. Bref, que ces cours viennent se substituer à ceux donnés dans des locaux désuets que les cégeps n’auraient pas les moyens de rénover.

« La solution facile, quand il n’y a plus de place dans les cégeps et que des locaux sont condamnés, […] c’est l’enseigneme­nt à distance », lance le vice-président de la FNEEQ-CSN, Yves de Repentigny. Des enseignant­s de trois cégeps joints par Le Devoir appréhende­nt d’ailleurs que le recours à des cours en ligne vienne alourdir leur charge de travail en plus de diminuer l’expérience — et la motivation — des étudiants.

« Les profs s’organisent pour donner des contenus similaires et que les étudiants apprennent, mais l’expérience étudiante est moindre », estime lui aussi le président de la FEC-CSQ, Youri Blanchet. « Je comprends qu’on utilise l’enseigneme­nt à distance quand il y a une urgence », poursuitil, en notant que certains cégeps doivent parfois rénover une partie de leurs infrastruc­tures et ainsi fermer temporaire­ment une partie de leurs salles de classe. « Mais l’important, c’est que ce ne soit pas instauré de façon pérenne », relève M. Blanchet, qui constate d’ailleurs que de moins en moins de cours d’été sont offerts en personne dans certains cégeps, en raison de la compétitio­n offerte par les possibilit­és en ligne.

Des enseignant­s inquiets

Le Cégep de Bois-de-Boulogne, qui a vu sa population étudiante croître dans les dernières années, a pour sa part migré nombre de ses cours en formation continue en ligne dans les dernières années. Leur nombre est ainsi passé de 14 à 52 entre 2019 et aujourd’hui. Or, au moment où ce cégep détient la triste position de l’établissem­ent collégial ayant le plus grand déficit de maintien des actifs au Québec, plusieurs enseignant­s craignent que ce virage numérique s’accélère et empiète sur la formation courante offerte aux étudiants.

« C’est une grande préoccupat­ion chez nous », confirme la présidente du Syndicat des enseignant­es et des enseignant­s de Collège de Bois-de-Boulogne, Annie Martel. Ses membres ont ainsi voté une résolution en assemblée syndicale, le 19 mars, afin de demander au Cégep que la formation à distance « ne serve pas à pallier le manque de locaux », a appris Le Devoir. Le document réclame aussi que « les enseignant­s ne subissent aucune pression pour offrir des cours à distance », indique Mme Martel. Car ce recours, « ce n’est pas la solution » aux défis financiers des cégeps, insiste-t-elle.

« On n’économise aucunement avec les cours à distance. S’il y a une chose, [ça entraîne] sans doute des frais supplément­aires », relève d’ailleurs la coordonnat­rice en technopéda­gogie au Cégep de l’Abitibi-Témiscamin­gue, Isabelle Lessard, qui souligne que « chaque classe de vidéoconfé­rence coûte environ 100 000 dollars ». Les enseignant­s doivent également être formés afin de pouvoir bien faire leur enseigneme­nt. La coordonnat­rice estime cependant que le recours à des cours à distance dans certains contextes est essentiel, notamment pour prévenir la fermeture de cours accueillan­t très peu d’étudiants, une situation à laquelle fait notamment face le campus d’Amos.

Le Cégep de La Pocatière souligne pour sa part que la demande pour des cours en ligne est de plus en plus grande de la part de ses étudiants, notamment pour faciliter une certaine conciliati­on avec la vie familiale et profession­nelle. « Nous voulons répondre aux différents besoins de la population étudiante », précise l’établissem­ent, qui indique par ailleurs que l’ensemble de ses cours d’été seront offerts en ligne cette année. Aucun d’entre eux ne l’était en 2019.

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ADIL BOUKIND LE DEVOIR Plusieurs cégeps voient leurs bâtiments se dégrader, comme celui de Saint-Laurent, à Montréal, qui a dû fermer temporaire­ment un de ses pavillons.
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