Les finances publiques se dirigent vers une impasse
Le gouvernement du Québec semble avoir perdu contact avec la réalité
Le discours sur le budget du 12 mars dernier nous a révélé que le déficit devrait atteindre le niveau inattendu de 11 milliards de dollars en 2024-2025. Ce fut une surprise, car c’est 8 milliards de plus que ce qui était annoncé dans le document de mise à jour économique de l’automne 2023, qui maintenait le retour à l’équilibre budgétaire en 2027-2028 comme prévu.
Non seulement ce retour est maintenant repoussé après 2028-2029, mais il n’y a aucune indication quant à l’année où il pourra se faire, si ce n’est que la question sera réexaminée au prochain budget. On s’aperçoit finalement, à l’analyse, que le cadre financier quinquennal publié dans le budget s’en va déjà vers une impasse.
À moins d’avoir une reprise économique forte, ce qui est peu probable compte tenu des incertitudes actuelles, il apparaît difficile de maintenir au cours des prochaines années le niveau actuel des services publics. Cette conclusion pessimiste découle des observations suivantes.
Le tableau ci-joint présente les mêmes données que le plan budgétaire quinquennal du budget pour la période qui va de 2024-2025 à 2028-2029. Ces données sont toutefois arrangées de façon différente pour mettre en évidence le déséquilibre budgétaire persistant des prochaines années. Pour atténuer cette évolution problématique, le plan quinquennal prévoit deux postes — un écart à absorber et une provision pour éventualités — qui totalisent 13,6 milliards, sans dire toutefois explicitement s’ils s’appliqueront aux dépenses ou aux revenus.
Mais on s’attend généralement à ce qu’une provision pour éventualités s’applique aux dépenses, et c’est ce qui a été fait dans le tableau. Par ailleurs, un écart à compresser peut théoriquement signifier deux possibilités : supprimer des dépenses ou bien augmenter les revenus. On l’a placé à la fin du tableau sans faire de choix entre les deux possibilités, tout en sachant que le gouvernement évitera probablement d’augmenter les impôts.
La structure du tableau permet donc une comparaison correcte des trois indicateurs importants de l’évolution de la situation financière : le surplus (ou déficit) lié aux activités totales, le surplus (ou déficit) selon la Loi sur l’équilibre budgétaire avant correction et le surplus (ou déficit) selon la Loi sur l’équilibre budgétaire après correction.
On y voit que le déficit lié aux activités totales du gouvernement demeure après 2025-2026 à plus de 3 milliards de dollars. Si l’on tient compte ensuite des versements au Fonds des générations, qui passeront de 2,2 à 2,7 milliards durant cette période, le déficit total selon la Loi sur l’équilibre budgétaire avant correction se situera au niveau très élevé de 6 milliards de dollars en 2028-2029.
Si le gouvernement réussit à comprimer son budget en réalisant ce qui est prévu dans le champ « écart à absorber », le déficit selon la Loi sur l’équilibre budgétaire ne sera que de 3,9 milliards. Dans ce dernier cas, si l’on applique la correction totalement aux dépenses, cela signifierait que la croissance annuelle des dépenses de programmes serait en moyenne de 2,2 % après 2024-2025, soit à peine supérieure aux 2 % d’inflation prévus.
En résumé, ce qu’on appelle le déficit structurel pourrait se situer entre 4 et 6 milliards de dollars après 2025-2026, selon le montant des compressions que les ministères pourront absorber après 2024-2025.
Des zones d’ombre
Mais ce n’est pas tout, car le scénario quinquennal ne prévoit aucun ajout au plan d’investissement, ce qui est irréaliste compte tenu des besoins d’entretien et des ajouts de projets dans plusieurs secteurs. Selon l’actuel Plan de développement des infrastructures du Québec (PDI), le montant prévu des investissements bruts annuels en immobilisations diminuera, passant de 8,2 milliards en 2024-2025 à 5 milliards en 2028-2029. Toutefois, il y aura certainement de nouveaux besoins à combler d’ici là, et des ajouts importants devront être faits au PDI.
Si l’on rajuste la prévision des quatre prochaines années en l’augmentant seulement de 2 % pour tenir compte de l’inflation, il faudra ajouter au minimum des investissements de 3,7 milliards de dollars en fin de période. Ces investissements seront financés par emprunt, ce qui se traduira par une hausse de plusieurs centaines de millions des dépenses pour amortissement dans les budgets de fonctionnement des ministères et des réseaux publics.
Il y a également un dernier aspect obscur dans le discours du budget.
Dans la section portant sur les priorités économiques, on annonce de nombreuses mesures intéressantes, totalisant 1,9 milliard de dollars, qui visent à appuyer le développement sectoriel et régional. Ces mesures s’ajoutent à la somme de 1,3 milliard déjà annoncée à l’automne 2023. Il n’y a aucune explication sur le financement de ces dépenses supplémentaires. Mais le plus grand mystère concerne les milliards de dollars en subventions qui ont été promis pour la réalisation de l’usine de batteries de Northvolt : d’où viendront ces milliards ?
Et, pour finir, le premier ministre a répété récemment qu’il désirait continuer de réduire le fardeau fiscal des contribuables québécois, même si l’on constate une impasse dans l’évolution de la situation budgétaire. Le gouvernement semble avoir perdu contact avec la réalité des finances publiques.
À moins d’avoir une reprise économique forte, ce qui est peu probable compte tenu des incertitudes actuelles, il apparaît difficile de maintenir au cours des prochaines années le niveau actuel des services publics