« Il n’y a aucune raison de les laisser partir »
Des élus et des membres de la société civile ont exhorté le ministre fédéral de l’Immigration à arrêter l’expulsion d’une famille nigériane d’« anges gardiens »
Plus d’une cinquantaine de personnes se sont réunies vendredi devant les bureaux montréalais du ministre fédéral de l’Immigration, Marc Miller, en soutien à une famille nigériane d’« anges gardiens » qui s’apprête à être expulsée le 5 avril prochain, en pleine année scolaire.
Après s’être vu refuser leur demande d’asile par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, les Adegboye, qui vivent ici depuis plus de six ans, ont épuisé tous leurs recours pour ne pas être renvoyés au Nigeria. La famille qui est chrétienne, dans ce pays où les fidèles de cette religion sont hautement persécutés, dit avoir reçu de graves menaces.
Dans cette importante mobilisation, des élus et des membres de la société civile ont demandé au ministre Miller d’annuler le renvoi et de délivrer un permis de séjour temporaire en attendant que soit étudiée la demande de résidence permanente pour motifs humanitaires de la famille.
Arrivés comme demandeurs d’asile avec un seul enfant en 2017 — deux sont nés au Canada depuis —, Deborah Adegboye et son mari ont oeuvré comme « travailleurs essentiels » pendant la pandémie, avant de devenir préposés aux bénéficiaires. Depuis deux ans, le couple travaille auprès d’une clientèle lourdement handicapée, à domicile.
« Une si grande mobilisation, on ne voit pas ça tous les jours. C’est parce que c’est une famille attachante, qui a un réseau social soutenu, et qui fait la différence dans la vie de Québécois et de Québécoises », a dit le député de Saint-Henri–Sainte-Anne, le solidaire Guillaume Cliche-Rivard. « Il n’y a aucune raison de les laisser partir. On n’aurait jamais dû se rendre jusque-là. Mais il reste encore un peu de temps, et on demande au gouvernement du Québec de presser le fédéral pour qu’elle reste. »
Il demande aussi au gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ) d’obtenir d’Ottawa le pouvoir de suspendre une expulsion lorsque c’est justifié. « Le Québec devrait pouvoir dire au fédéral : “Cette personne-là, on en a besoin. Elle ne part pas”, a-t-il soutenu. Si la ministre [de l’Immigration du Québec] Christine Fréchette endosse le nationalisme de la CAQ, qu’elle demande ce pouvoir-là au fédéral ! »
Venu en appui à la cause, Alexandre Boulerice, chef adjoint du Nouveau Parti démocratique et député de Rosemont–La Petite-Patrie, trouve « épouvantable » que le Canada songe à expulser une mère de famille qui travaille avec son mari dans le secteur de la santé, qui apprend le français et dont les trois enfants sont bien intégrés à l’école. « Qu’on pense déporter une personne comme ça, les deux bras m’en sont tombés. On a besoin d’elle, a-t-il déclaré. Si on met Deborah à la porte, quel genre d’immigrants on veut avoir ? »
« Vous avez besoin de nous »
Deborah Adegboye promet de continuer à « contribuer ». « Je ne veux pas perdre mes patients et les gens que j’aide. Ils ont besoin de nous, vous avez besoin de nous, de mon mari et moi », a-t-elle confié au Devoir, très émue. « On va faire de notre mieux. Et on va redonner au Québec », a-t-elle ajouté, en précisant qu’elle n’est aucunement intéressée par un déménagement dans une autre province.
Pour elle et ses trois enfants, qui évoluent en français — les deux plus jeunes n’ont jamais mis les pieds au Nigeria —, leur vie, c’est ici. « Mon fils le plus vieux [de bientôt 9 ans] me dit tous les jours : “Est-ce qu’on a été acceptés ? Est-ce qu’on a été acceptés ?” Il ne veut pas s’en aller et perdre ses amis. »
Mme Adegboye s’inquiète beaucoup pour tous les membres de sa famille au Nigeria qu’elle aide financièrement, qui vont tout perdre si elle quitte le Canada. « On est des ambassadeurs de notre famille. On aide nos neveux et nièces, on paye les factures de santé de nos proches qui sont malades… Retourner voudrait dire mettre fin à ces vies-là aussi. »
Certains organismes ont soulevé l’ironie de la date d’expulsion — la nuit du 4 au 5 avril —, qui coïncide avec la Journée canadienne des droits des réfugiés, célébrée tous les 5 avril. Il y a près de 40 ans, un jugement de la Cour suprême avait déterminé que la Charte canadienne des droits et libertés de 1982 protégeait les droits fondamentaux des réfugiés.
Promesse rompue
France-Isabelle Langlois, directrice générale d’Amnistie internationale Canada francophone, déplore que le gouvernement fédéral n’ait pas tenu ses promesses envers toutes les personnes à statut précaire qui ont travaillé, notamment en santé, pendant la pandémie. « Ce qui est choquant dans cette histoire, c’est que ce sont des anges gardiens. On nous avait laissé entendre qu’ils seraient reçus », a-t-elle indiqué.
Le responsable en immigration pour le Bloc québécois, Alexis DuceppeBrunelle, juge que le ministère fédéral de l’Immigration agit « de manière inhumaine » et demande au ministre « d’utiliser son pouvoir discrétionnaire afin d’empêcher qu’un tel drame se produise ».
Interrogé en marge d’une conférence de presse, jeudi, Marc Miller s’est gardé de commenter un dossier confidentiel, mais a confirmé que son équipe se penchait sur le cas. « Il y a parfois des faits dont vous n’êtes pas au courant que je dois analyser et que mon équipe doit analyser. Vous en verrez les résultats dans les prochains jours. »
Qu’on pense déporter une personne comme ça, les deux bras m’en sont tombés. On a besoin d’elle. Si on met Deborah à la porte, » quel genre d’immigrants on veut avoir ?
ALEXANDRE BOULERICE