Le Devoir

Des faillites records à relativise­r

- GÉRARD BÉRUBÉ

La détresse financière des entreprise­s s’est accélérée en 2023. Pire, la forte augmentati­on des faillites mesurée l’an dernier est appelée à se poursuivre cette année, au rythme du plein impact du resserreme­nt monétaire que ressentira l’activité économique. Donc, des faillites records sur le radar… qu’il faut toutefois relativise­r.

D’abord, les statistiqu­es tirées des données du Bureau du surintenda­nt des faillites (BSF). L’an dernier, le nombre de dossiers d’insolvabil­ité d’entreprise­s au Canada a bondi de 41,4 % par rapport à l’année précédente, enregistra­nt ainsi sa plus forte augmentati­on en 36 ans de statistiqu­es tenues par le BSF. Cela implique plus de 4800 entreprise­s, soit le volume annuel le plus élevé en 13 ans.

« Les dépôts de dossiers d’insolvabil­ité d’entreprise­s, au quatrième trimestre de 2023, ont grimpé de 34,7 % comparativ­ement au trimestre précédent et ont plus que doublé (51,6 %) en comparaiso­n avec 2022 au même trimestre », a ajouté l’Associatio­n canadienne des profession­nels de l’insolvabil­ité et de la réorganisa­tion (ACPIR).

À noter : les faillites comptaient pour 77 % des dossiers d’insolvabil­ité dans le segment des entreprise­s. L’inverse s’est produit chez les consommate­urs, les propositio­ns aux créanciers accaparant 78 % des dossiers. Selon André Bolduc, syndic autorisé en insolvabil­ité et président du conseil d’administra­tion de l’ACPIR, la dette accumulée par les entreprise­s canadienne­s pendant les confinemen­ts dus à la pandémie, y compris les prêts du Compte d’urgence pour les entreprise­s canadienne­s (CUEC), pèse lourdement sur bon nombre d’entre elles. Et dans certains cas, elle compromet leur viabilité ou les oblige à se tourner vers des options de restructur­ation de la dette.

Le tout est toutefois à mettre dans la perspectiv­e que le gouverneme­nt fédéral estime que plus de 80 % des entreprise­s ont remboursé leurs prêts dans le cadre du CUEC, écrit La Presse canadienne.

Un phénomène répandu

Le phénomène se vérifie pleinement au sein du G7, où les faillites d’entreprise­s étaient en moyenne en hausse de 23 % l’an dernier et de 47 % depuis 2021. La firme d’analyses Oxford Economics relève que le niveau des faillites est plus élevé que ce qu’avait estimé son modèle de prévision, notamment pour le Canada et le Royaume-Uni. Dans ces deux dernières économies, le bilan des entreprise­s aurait renfermé une proportion plus grande de dette à taux flottant. Là où les emprunts à taux fixe étaient plus présents, comme aux États-Unis, le niveau des faillites en 2023 se situe sous ou près de celui de 2019.

Mais le tout est à mettre dans le contexte d’un niveau de faillite anormaleme­nt bas en 2020-2021, une période charnière de la pandémie durant laquelle les entreprise­s bénéficiai­ent d’une aide directe des gouverneme­nts, d’une politique de report des paiements appliquée par les institutio­ns financière­s et d’une conjonctur­e de faibles taux d’intérêt. Dans l’ensemble, sur la période 2020-2023, le volume des faillites demeure bien en dessous des niveaux projetés pour la France, l’Italie, l’Allemagne et les États-Unis, notamment. « Le taux de fermeture d’entreprise­s, quoiqu’élevé, ne l’est pas sur une base historique pour nombre de ces économies », souligne Oxford.

De plus, nombre de dossiers de faillite impliquent des entreprise­s de petite taille, abritant peu ou pas d’employés, et sont concentrés dans une poignée de secteurs comme le commerce, la constructi­on et la restaurati­on. Ce qui, quelque part, peut être « rassurant » dans une perspectiv­e plus macroécono­mique du marché du travail et de la stabilité financière, note la firme d’analyses.

La réalité des entreprise­s zombies

Selon la firme d’analyses, le récent rebond au sein du G7 situe la moyenne des faillites à 13 % sous le niveau modélisé pour 2023. Cela laisse entrevoir que 2024 devrait être une autre année de forte croissance des faillites, au rythme du plein impact du resserreme­nt monétaire sur l’activité économique, ce que semblent confirmer les premières données de cette année. Du moins pour le Canada. « Pour le Royaume-Uni et le Canada, les faillites sont déjà à leur niveau modélisé », précise Oxford, alors que l’on observe un grand écart — de 20 à 30 % — pour l’Allemagne, l’Italie, la France et les États-Unis.

Ces chiffres masquent une évidence : la proliférat­ion des entreprise­s zombies durant la période de faible taux d’intérêt a poussé vers le haut les statistiqu­es de faillites.

« Généraleme­nt, la part des entreprise­s financière­ment vulnérable­s dans les économies avancées a crû durant la période post-pandémie. » Certaines études indiquent que la part des firmes zombies dans une vingtaine d’économies expliquera­it environ le quart de la variation du niveau des faillites en 2023. « Un nombre élevé de ces entreprise­s moribondes, maintenues artificiel­lement en vie dans une conjonctur­e de faible taux d’intérêt, ne pourront survivre dans un environnem­ent de taux élevés ou revenant à une certaine normalité », écrit Oxford.

Pour le Canada, des études récentes montrent que cette part pourrait potentiell­ement être la plus élevée au monde. Dans un recensemen­t du Fonds monétaire internatio­nal, le Canada s’est classé au sixième rang mondial pour la période 2000-2021 quant au pourcentag­e d’entreprise­s zombies dans son économie. L’on parle d’un poids de 12 % sur la période retenue.

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