Le Devoir

L’alcool s’invite au cinéma

Dans le contexte où le milieu peine à se remettre de la pandémie, de plus en plus de salles offrent des boissons alcoolisée­s

- ALEX FONTAINE LE DEVOIR

Aux cinémas du Parc et Beaubien, la directrice générale estime que la possibilit­é d’accompagne­r son pop-corn d’une bière « rend l’expérience encore plus agréable ». « Ce n’était pas tant une question de générer beaucoup de nouveaux revenus [qu’une manière] d’élargir notre offre. »

Pour nous, c’est vraiment le côté vivant et événementi­el du lieu, plus que de consommer comme tel. Il faut savoir que les gens ne sortent pas [durant le film] pour se servir un autre verre.

FLORENCE JULIEN-GAGNIER

Cineplex en sert dans certaines salles depuis une décennie. Le cinéma Moderne, depuis ses débuts en 2018. Au Beaubien, c’est apparu sur le menu en mai 2023. Le cinéma du Parc a suivi en juillet. Et si la santé financière de nos cinémas passait par la vente d’alcool ? « Ç’a été un très gros travail d’obtenir un permis de bar à l’époque », explique Florence Julien-Gagnier, p.-d.g. du cinéma Moderne, à Montréal. C’est en présentant sa petite salle du boulevard Saint-Laurent comme un amphithéât­re — au même titre que le Centre Bell — que l’entreprise a pu obtenir l’autorisati­on de vendre de l’alcool.

Puis, en 2021, Québec a changé sa réglementa­tion et assoupli les critères permettant aux salles obscures de vendre des produits alcoolisés. Un petit coup de pouce pour un milieu qui peine à se remettre de la pandémie.

Les recettes avant taxes des cinémas québécois ont chuté de 157 millions en 2019 à 35 millions en 2020, au plus fort de la COVID-19, pour ensuite remonter à 109 millions en 2022, révélait l’Observatoi­re de la culture et des communicat­ions du Québec dans un rapport paru en juin dernier. C’est donc dire qu’en 2022, les recettes étaient 31 % inférieure­s à la dernière année prépandémi­que.

Quant aux données sur l’assistance, elles relèvent plus de l’horreur que de la comédie. Entre 2019 et 2022, les entrées ont chuté de plus de 39 % dans les établissem­ents de la province, pour s’établir à 11,3 millions.

Des marges intéressan­tes au comptoir

À l’échelle du pays, en 2022, les cinémas ont engrangé des recettes totales de 1249 millions, selon Statistiqu­e Canada. De ce montant, 670 millions provenaien­t des droits d’entrée et 474 millions de la vente d’aliments et de boissons. Le comptoir alimentair­e était donc à l’origine de 38 % des recettes des cinémas.

Pas étonnant, alors, que les exploitant­s accordent beaucoup d’importance à l’alimentati­on. D’autant plus qu’elle offre une marge bénéficiai­re très intéressan­te.

À Cineplex, le profit brut — les revenus moins les coûts — par client était de 6,76 $ en 2022, seulement au comptoir alimentair­e, apprend-on dans le dernier rapport annuel de la chaîne. La marge de profit provenant de la vente de nourriture et de boisson était de 77,6 %. « C’est une contributi­on qui est quand même importante pour la profitabil­ité de l’entreprise », reconnaît Daniel Séguin, vice-président principal de l’exploitati­on nationale de la chaîne.

La réalité n’est pas la même pour les plus petits cinémas, selon la directrice générale des cinémas Beaubien, du Parc et du Musée, Roxanne Sayegh. « Oui, c’est une part de revenus quand même très intéressan­te pour nos trois cinémas », reconnaît-elle, mais « la vente de billets reste significat­ivement plus grande dans notre part de revenus ».

Du côté du Moderne, il faut traverser un café-bar en bonne et due forme pour accéder à la salle de projection. Le tout fait partie intégrante de l’entreprise Post-moderne, qui offre aussi des services de post-production et de location d’équipement de tournage. « On a aussi une ferme [et] on torréfie notre propre café », ajoute Mme JulienGagn­ier. Les produits de la ferme se retrouvent d’ailleurs dans les plats qui sont servis au café.

Post-moderne a, en quelque sorte, créé un écosystème qui se nourrit de lui-même. « Dans notre cas, le [cinéma] tout seul, il ne fonctionne­rait pas financière­ment sans Post-moderne », précise la p.-d.g. « Mais le bar non plus », complète Alexandre Domingue, fondateur de l’entreprise. « C’est l’achalandag­e du cinéma qui fait fonctionne­r le bar. »

Pour l’expérience avant tout

Pour tous les intervenan­ts rencontrés, la vente d’alcool est aussi, voire surtout, une question d’expérience pour le client.

« Pour nous, c’est vraiment le côté vivant et événementi­el du lieu, plus que de consommer comme tel. Il faut savoir que les gens ne sortent pas [durant le film] pour se servir un autre verre », indique Mme Julien-Gagnier.

Même son de cloche à Cineplex : « On pense que ça ajoute une plusvalue » qui va au-delà de l’aspect financier, selon Daniel Séguin.

Aux cinémas du Parc et Beaubien, la directrice générale estime que la possibilit­é d’accompagne­r son pop-corn d’une bière « rend l’expérience encore plus agréable ». « Ce n’était pas tant une question de générer beaucoup de nouveaux revenus [qu’une manière] d’élargir notre offre. » Les deux cinémas vendent d’ailleurs des bières brassées spécialeme­nt pour eux par des microbrass­eries locales.

Une nouvelle offre prisée par la clientèle, affirme Mme Sayegh, qui ne relève pas de débordemen­ts liés à la consommati­on excessive d’alcool, tout comme ses homologues.

« Il y a un décorum, soutient Alexandre Domingue. Il y a plein de films qu’on joue qui sont disponible­s sur Crave, Amazon, Netflix. Les gens viennent les voir [au cinéma Moderne] parce qu’ils veulent les voir en salle. Ils sont sérieux. »

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PHOTOS ADIL BOUKIND LE DEVOIR Le cinéma Moderne sert de l’alcool depuis 2018. C’est en présentant sa petite salle du boulevard Saint-Laurent comme un amphithéât­re — au même titre que le Centre Bell — que l’entreprise, dont Florence Julien-Gagnier est la p.-d.g., a pu obtenir l’autorisati­on de vendre de l’alcool.

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