À propos d’un ordre professionnel des enseignants
Une pétition vient d’être lancée par des enseignants. Elle demande la création d’un ordre professionnel pour les enseignantes et les enseignants du Québec au préscolaire, au primaire et au secondaire.
Il s’agit en fait de deux pétitions, puisque les enseignants concernés peuvent en signer une et le grand public, une deuxième.
Ce n’est pas la première fois que cette idée est avancée chez nous, et chaque fois elle suscite débats et controverses. Pour ma part, j’ai toujours soutenu qu’il était sage, pour se faire une idée, de commencer par préciser ce qu’on entend par « profession ».
On le sait, le mot vient du latin et servait à affirmer — à professer, justement — sa foi.
Aujourd’hui, dans la langue courante du moins, on nomme « professionnels » des gens qui exercent des métiers aussi variés que musicien, sportif, médecin, comédien et avocat, entre autres, et qui gagnent ainsi (parfois très bien…) leur vie.
Mais je pense que ça ne suffit pas et qu’on doit être plus clair et plus précis sur ce qu’on entend par les mots « profession » et « professionnel ». J’avance, avec une bonne part de la littérature sur le sujet, que ces mots sont justifiés quand d’importantes conditions sont satisfaites.
Ce qu’est une profession
Pour commencer, un professionnel détient un savoir particulier, riche, savant si j’ose dire, un savoir qui s’acquiert sur une longue période. Et avec le temps, ce qu’il doit savoir s’accroît, et ceci est tellement vrai qu’il lui faudra constamment actualiser son savoir et le mettre à jour. Des formations pour professionnels, dites continues, le permettront. Ce n’est pas tout.
Car chez les professionnels, ce savoir n’est pas seulement contemplatif : il est mis en oeuvre dans une pratique complexe où on pose des gestes particuliers, des gestes justement appelés professionnels.
Autre chose. Aux personnes qui font ces gestes est reconnue une grande autonomie, même si celle-ci est aussi, de diverses manières, limitée et même surveillée. Un ordre professionnel est justement un des outils pour ce faire.
Enfin, ces professionnels agissent auprès de personnes qui, typiquement, ont besoin de leur aide, des personnes qui sont même parfois faibles ou fragilisées, et qui connaissent peu, voire pas du tout, ce que sait le professionnel. Leur relation avec le professionnel concerne en outre quelque chose qui a une grande valeur sociale et humaine : par exemple, la santé pour le médecin, la justice pour l’avocat, l’information financière pour la comptable professionnelle. Prenez en compte cette relation et son objet, et tout ce que cela implique sur le plan éthique, et vous comprendrez que ces professions ont un code déontologique qui, justement, vient réguler cette relation entre le professionnel et son client.
Et les enseignants, alors ? Ce sont des professionnels ou pas ?
L’actuelle proposition
Amusez-vous à faire l’exercice : l’enseignement, si on en juge par les critères avancés plus haut, pourrait fort bien être considéré comme une profession.
De plus, il faut reconnaître aux enseignantes et aux enseignants qui poussent en ce moment cette idée d’un ordre professionnel le mérite d’être clairs et d’avoir de bons arguments.
Cet ordre, nous dit-on, et cela nous ramène encore à la définition proposée plus haut d’une profession, « pourra veiller à la qualité de la formation initiale et continue des enseignants, présentement sous l’égide du gouvernement et vulnérable à des dérives idéologiques. Il veillera à la protection du public en assurant la transparence quant à la qualification et aux antécédents judiciaires et disciplinaires des enseignants ».
On rappelle aussi que, si le syndicat défend l’enseignant face à l’employeur, l’ordre, lui, veut contribuer à assurer que les enseignants sont à la hauteur des standards de la profession, veut protéger les élèves, le public, encadrer les enseignants non légalement qualifiés et s’assurer qu’ils ont des formations adéquates. Il va sans dire que l’actuelle pénurie d’enseignants et le devoir d’y remédier de toute urgence militent en faveur de la création de cet ordre. Sans rien dire de la très bienvenue valorisation de la profession qu’on en espère.
Je comprends donc cette demande, et je partage bien des inquiétudes et des ambitions qui la motivent. Pourtant, je reste hésitant, comme je l’ai toujours été sur cette question… en ajoutant, cette fois encore, que je pourrais changer d’avis.
Mes hésitations
Je crains d’abord un inutile dédoublement de responsabilités avec ce que font déjà, ou devraient faire, les universités, les écoles, le ministère, la Loi sur l’instruction publique, l’INEE, le Protecteur national de l’élève et les syndicats.
Je crains aussi les tensions et conflits qui résulteraient de ces dédoublements.
Je pense également que les enseignants sont déjà passablement encadrés et qu’ils ne se réjouiraient pas de ce nouvel outil de surveillance.
Et je pense enfin que des problèmes comme la pénurie que nous connaissons devraient être d’abord résolus par ceux qui les ont en partie causés, et pas par une nouvelle structure.
Mais qui sait ? Je me trompe peut-être. Et les pétitions en cours pourraient le montrer, si les enseignants et la population appuient massivement le projet. On verra…
En attendant, et pour vous faire une idée sur le sujet, vous pouvez aller voir ce que fait l’Ordre des enseignants de l’Ontario, lequel existe depuis 1997.