Le Devoir

Enlisée dans le désespoir

- MARIE VASTEL

Source d’une lueur d’espoir qui aura été de trop courte durée, l’appel des Nations unies à un cessez-le-feu immédiat à Gaza s’est au contraire aussitôt soldé par un mépris du gouverneme­nt israélien de cette injonction, pourtant, dans les faits, unanime du Conseil de sécurité. Sur le terrain de l’horreur de cette guerre, les Gazaouis avaient accueilli la résolution onusienne, témoignant de l’isolement grandissan­t de l’État hébreu sur la scène internatio­nale, d’un grand scepticism­e. La poursuite ininterrom­pue des bombardeme­nts, malgré cet appel à la trêve historique mais finalement symbolique, leur a tragiqueme­nt donné raison.

La réaction de Jérusalem n’avait rien d’étonnant. Pressé par ses partenaire­s de coalition de l’extrême droite de maintenir le cap contre le Hamas, ébranlé par la fragilité de sa popularité, le premier ministre Benjamin Nétanyahou n’allait pas obtempérer. Mais malgré son inattendu désaveu d’Israël, par la voix du silence de son abstention au vote de l’ONU, Washington lui a rapidement donné le feu vert pour la transgress­er. Ces résolution­s ont beau être juridiquem­ent contraigna­ntes (bien que régulièrem­ent bafouées), l’ambassadri­ce des États-Unis aux Nations unies, Linda Thomas-Greenfield, s’est empressée de la qualifier de « non contraigna­nte », question de ménager les sensibilit­és de l’allié israélien seulement à moitié condamné. Tout en laissant l’impression de durcir le ton, sous le poids de considérat­ions électorale­s forçant le président Joe Biden à cet exercice d’équilibris­me.

Le pilonnage de Gaza n’a donc pas cessé. Des hôpitaux demeurent assiégés. La famine y est imminente, une faim catastroph­ique affligeant 70 % de la population restante (le bilan des morts dépassant les 32 000 victimes, un ratio d’environ 26 : 1 par rapport au nombre de victimes israélienn­es). Du vote onusien, aucune accalmie n’a abouti. Et il reste à peine dix jours au ramadan, l’ordonnance d’un cessez-le-feu, accompagné de l’urgente entrée d’aide humanitair­e et de la nécessaire libération des otages, ne visant que ce mois saint des musulmans.

De ces négociatio­ns indirectes entre un gouverneme­nt noyauté par l’extrême droite et un groupe terroriste ayant orchestré le massacre antisémite du 7 octobre, aucune solution ne semble poindre à l’horizon.

L’enlisement du conflit, qui sévira bientôt depuis six mois, désespère et mobilise de part et d’autre, jusqu’en sol canadien. Mû par des considérat­ions de paix sociale mais aussi électorale­s, Justin Trudeau s’évertue à défendre une position mitoyenne ne satisfaisa­nt ni l’une ni l’autre des communauté­s endeuillée­s. Ni même au sein de son propre caucus.

Le député montréalai­s Anthony Housefathe­r en est à songer à quitter la famille libérale. L’élu de Mont-Royal, lui-même de confession juive, représente, comme 22 de ses collègues, l’une des 25 circonscri­ptions rassemblan­t la plus forte proportion de membres de la communauté juive. Les libéraux détiennent également 23 des 25 circonscri­ptions à forte prédominan­ce musulmane, selon le recensemen­t de l’analyste de sondages Philippe J. Fournier.

En tentant d’éviter que près de 80 de ses députés n’approuvent une motion du Nouveau Parti démocratiq­ue qui aurait reconnu, entre autres choses, l’État de la Palestine — et en l’édulcorant pour qu’elle réitère simplement la position libérale sur le conflit —, le gouverneme­nt Trudeau s’est trouvé à décevoir amèrement la communauté juive. Et M. Housefathe­r, qui n’a pas digéré de voir son équipe ovationner la marraine de l’initiative, Heather McPherson.

Les conservate­urs ont beau rêver de le voir rejoindre leurs rangs et leur permettre d’espérer une percée sur l’île de Montréal, les électeurs de MontRoyal votent rouge invariable­ment depuis les années 1940, n’ayant même pas abandonné les libéraux lors du désastreux résultat électoral de 2011. M. Housefathe­r pourrait aussi briguer le prochain scrutin comme indépendan­t — l’ex-ministre Jody Wilson-Raybould a réussi cet exploit pour un court mandat. Qu’il quitte ou non, le simple fait qu’il y réfléchiss­e illustre l’exacerbati­on des tensions politiques, mais aussi sociétales.

Le changement de ton du gouverneme­nt Trudeau, ostracisan­t aux yeux d’Anthony Housefathe­r, est, à l’inverse, jugé encore trop timide par ceux qui déplorent que les Gazaouis paient le prix de la réplique disproport­ionnée d’Israël.

À l’Université McGill, 15 étudiants ont mené pendant des semaines une grève de la faim. L’un des deux derniers à tenir le coup s’est retrouvé hospitalis­é, complèteme­nt déshydraté.

Tous les samedis, les rues de Montréal ou d’Ottawa voient défiler des manifestat­ions en soutien aux Palestinie­ns de Gaza et de Cisjordani­e, où les colonies se multiplien­t. D’autres rassemblem­ents, moins pacifiques, ont inacceptab­lement ciblé des synagogues et des lieux juifs ou forcé l’annulation d’événements politiques.

La destructio­n mutuelle à laquelle se livrent Israël et le Hamas s’enlise, embourbant avec elle des diasporas aussi consternée­s que révoltées. Et s’approchant d’un inquiétant point de rupture.

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