Le problème est dans les règles
Corriger les inégalités de représentation dans le mode de scrutin actuel, c’est poursuivre une mission impossible
Depuis le dépôt du projet de révision de la carte électorale l’automne dernier, les réactions sont multiples, et pour cause. Le projet déposé par la Commission de la représentation électorale (qui a le mandat d’établir la carte électorale) a pour objectif de « corriger des inégalités de représentation ». Cependant, le rebrassage amputerait deux circonscriptions (Gaspé et Anjou–Louis-Riel), qui seront fusionnées à d’autres, et en créerait deux nouvelles. L’insatisfaction ne se fait pas attendre : on dilue le poids politique de ces régions où les électeurs se sentent écartés et mis de côté.
Jeudi, le ministre responsable des Institutions démocratiques, Jean-François Roberge, a accepté de rouvrir la Loi électorale afin de reporter à 2030 le prochain réalignement des circonscriptions. Les décisions de redécoupage de la Commission ne sont pourtant pas le problème, car peu importe comment on s’y prend, les inégalités perdureront avec les règles du jeu actuelles. Vouloir améliorer l’égalité de représentation dans ces conditions correspond à s’entêter à vouloir séparer une tarte de différentes façons en pensant trouver celle où les électeurs vont être plus satisfaits de leur part. Non, le problème est dans les règles du jeu.
Le problème est dans notre mode de scrutin, qui cause de facto des inégalités de représentation des électeurs. Le nouveau découpage, quel qu’il soit, est condamné à ce qu’une portion de la population ne soit pas représentée à l’Assemblée nationale. Et quelle portion ! On parle de plus de 50 % des votes (environ 2 millions par élection) qui sont perdus d’une élection à l’autre puisque les votes attribués aux candidats qui ne remportent pas de siège n’influencent pas du tout la représentation des élus.
Comment parler d’égalité de représentation lorsque la valeur de plus de la moitié des votes est purement symbolique ? On peut facilement comprendre le cynisme et le désintérêt politique, voire le découragement, des électeurs dont le parti n’a aucune chance dans une circonscription. Aux dernières élections, 80 des 125 élus l’ont été avec moins de 50 % des voix, renversant ainsi la volonté populaire de ces circonscriptions.
De plus, 13 des 17 régions administratives ont vu 80 % à 100 % de leurs sièges occupés par un seul parti, malgré un vote diversifié. Ces situations de monopole du pouvoir font en sorte que les électeurs qui n’ont pas voté pour le ou la député élu n’ont pas ou très peu de voix pour représenter leurs idées et opinions dans leur région administrative.
Vouloir corriger les inégalités de représentation en délimitant les circonscriptions dans le mode de scrutin actuel, c’est poursuivre une mission impossible. Il n’est pas possible pour la Commission, avec le seul mode de scrutin actuel, de délimiter les circonscriptions « de manière à assurer le respect du principe de la représentation effective des électeurs » tout « en tenant compte de l’égalité du vote des électeurs » (article 14 de la Loi électorale). Rappelons les résultats aberrants des dernières élections générales d’octobre 2022. Comment parler d’égalité entre les électeurs quand, avec un pourcentage de votes très rapproché, le Parti québécois (14,6 %) n’a récolté que 3 sièges, Québec Solidaire (15,43 %) en a récolté 11, le Parti libéral (14,37 %) en a raflé 21, alors que le parti conservateur du Québec (12,91 %) n’en a eu aucun ? Sans parler de la CAQ, qui a pu récolter 90 sièges avec 40,98 % des votes.
La Commission gagnerait plutôt à conclure que les principes et critères de représentation sont inapplicables dans le mode de scrutin uninominal à un tour qui gouverne actuellement notre démocratie. À la suite des derniers résultats électoraux, notamment du 3 octobre 2022, la Commission devrait recommander à l’Assemblée nationale de réviser le mode de scrutin actuel afin d’en introduire un apte à respecter la représentation effective des électeurs et l’égalité du vote exercé par chaque citoyen du Québec. Un projet de loi est déjà déposé en ce sens à l’Assemblée nationale pour adopter un mode de scrutin proportionnel mixte compensatoire avec listes régionales.
Se préoccuper exclusivement du découpage de la carte électorale lorsque d’immenses segments de l’électorat se voient privés d’un vote effectif et significatif, c’est rater la cible d’offrir une réelle égalité de représentation des électeurs.