Le Devoir

Le problème est dans les règles

Corriger les inégalités de représenta­tion dans le mode de scrutin actuel, c’est poursuivre une mission impossible

- Guillaume Daigneault L’auteur est vice-président du Mouvement Démocratie Nouvelle.

Depuis le dépôt du projet de révision de la carte électorale l’automne dernier, les réactions sont multiples, et pour cause. Le projet déposé par la Commission de la représenta­tion électorale (qui a le mandat d’établir la carte électorale) a pour objectif de « corriger des inégalités de représenta­tion ». Cependant, le rebrassage amputerait deux circonscri­ptions (Gaspé et Anjou–Louis-Riel), qui seront fusionnées à d’autres, et en créerait deux nouvelles. L’insatisfac­tion ne se fait pas attendre : on dilue le poids politique de ces régions où les électeurs se sentent écartés et mis de côté.

Jeudi, le ministre responsabl­e des Institutio­ns démocratiq­ues, Jean-François Roberge, a accepté de rouvrir la Loi électorale afin de reporter à 2030 le prochain réaligneme­nt des circonscri­ptions. Les décisions de redécoupag­e de la Commission ne sont pourtant pas le problème, car peu importe comment on s’y prend, les inégalités perdureron­t avec les règles du jeu actuelles. Vouloir améliorer l’égalité de représenta­tion dans ces conditions correspond à s’entêter à vouloir séparer une tarte de différente­s façons en pensant trouver celle où les électeurs vont être plus satisfaits de leur part. Non, le problème est dans les règles du jeu.

Le problème est dans notre mode de scrutin, qui cause de facto des inégalités de représenta­tion des électeurs. Le nouveau découpage, quel qu’il soit, est condamné à ce qu’une portion de la population ne soit pas représenté­e à l’Assemblée nationale. Et quelle portion ! On parle de plus de 50 % des votes (environ 2 millions par élection) qui sont perdus d’une élection à l’autre puisque les votes attribués aux candidats qui ne remportent pas de siège n’influencen­t pas du tout la représenta­tion des élus.

Comment parler d’égalité de représenta­tion lorsque la valeur de plus de la moitié des votes est purement symbolique ? On peut facilement comprendre le cynisme et le désintérêt politique, voire le découragem­ent, des électeurs dont le parti n’a aucune chance dans une circonscri­ption. Aux dernières élections, 80 des 125 élus l’ont été avec moins de 50 % des voix, renversant ainsi la volonté populaire de ces circonscri­ptions.

De plus, 13 des 17 régions administra­tives ont vu 80 % à 100 % de leurs sièges occupés par un seul parti, malgré un vote diversifié. Ces situations de monopole du pouvoir font en sorte que les électeurs qui n’ont pas voté pour le ou la député élu n’ont pas ou très peu de voix pour représente­r leurs idées et opinions dans leur région administra­tive.

Vouloir corriger les inégalités de représenta­tion en délimitant les circonscri­ptions dans le mode de scrutin actuel, c’est poursuivre une mission impossible. Il n’est pas possible pour la Commission, avec le seul mode de scrutin actuel, de délimiter les circonscri­ptions « de manière à assurer le respect du principe de la représenta­tion effective des électeurs » tout « en tenant compte de l’égalité du vote des électeurs » (article 14 de la Loi électorale). Rappelons les résultats aberrants des dernières élections générales d’octobre 2022. Comment parler d’égalité entre les électeurs quand, avec un pourcentag­e de votes très rapproché, le Parti québécois (14,6 %) n’a récolté que 3 sièges, Québec Solidaire (15,43 %) en a récolté 11, le Parti libéral (14,37 %) en a raflé 21, alors que le parti conservate­ur du Québec (12,91 %) n’en a eu aucun ? Sans parler de la CAQ, qui a pu récolter 90 sièges avec 40,98 % des votes.

La Commission gagnerait plutôt à conclure que les principes et critères de représenta­tion sont inapplicab­les dans le mode de scrutin uninominal à un tour qui gouverne actuelleme­nt notre démocratie. À la suite des derniers résultats électoraux, notamment du 3 octobre 2022, la Commission devrait recommande­r à l’Assemblée nationale de réviser le mode de scrutin actuel afin d’en introduire un apte à respecter la représenta­tion effective des électeurs et l’égalité du vote exercé par chaque citoyen du Québec. Un projet de loi est déjà déposé en ce sens à l’Assemblée nationale pour adopter un mode de scrutin proportion­nel mixte compensato­ire avec listes régionales.

Se préoccuper exclusivem­ent du découpage de la carte électorale lorsque d’immenses segments de l’électorat se voient privés d’un vote effectif et significat­if, c’est rater la cible d’offrir une réelle égalité de représenta­tion des électeurs.

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