Trouble alimentaire, délire sectaire
La cinéaste Jessica Hausner offre le récit glacé, mais aux visées floues, d’une enseignante qui promeut l’anorexie dans Club Zero
Dans une école privée qui aime faire grand cas de son avant-gardisme, arrive un jour Miss Novak, une nouvelle enseignante chargée d’instruire les élèves en matière de nutrition. Or, la jeune femme a des idées pour le moins radicales sur le sujet. Sous son apparente bienveillance, Miss Novak est plus une gourou qu’une prof. Bientôt, le petit groupe qu’elle a enjôlé en vient à rejeter la nourriture sous toutes ses formes. Réalisé et coécrit par Jessica Hausner, Club Zero est le genre de longs métrages qui frustre.
Le film s’ouvre avec un « traumavertissement » concernant les troubles alimentaires. Des termes comme « boulimie » et « anorexie » n’y seront toutefois jamais utilisés même si, dans les faits, Miss Novak incite ni plus ni moins ses ouailles à devenir anorexiques.
Ce détail pourra paraître anecdotique, mais au vu du film dans son ensemble, cela s’avère symptomatique d’une démarche assez floue.
L’intrigue est manifestement inspirée du conte allemand Le joueur de flûte de Hamelin, dans lequel un mystérieux troubadour s’enfuit avec les enfants d’une ville entière après que les notables de l’endroit eussent refusé de le payer, bien qu’il les eût débarrassés d’une colonie de rats. La morale étant que ce sont d’abord les enfants qui paient pour la fourberie des puissants.
Pas dans cette variation-ci. Ainsi, après avoir choisi pour toile de fond la religion dans Lourdes, la passion amoureuse dans Amour fou et l’industrie pharmaceutique dans Little Joe, Jessica Hausner a jeté son dévolu sur l’éducation. Passeront à la moulinette autant les établissements d’enseignement, dépeints en fiefs d’endoctrinement, que les parents, présentés en caricatures d’aveuglement (à l’exception d’une mère célibataire, rare adulte à trouver grâce aux yeux de la cinéaste).
Le but de l’exercice ? Ce n’est pas clair : on parle notamment d’écoanxiété, mais le lien demeure vague.
Accents satiriques
Il n’empêche, quelques bons questionnements sont soulevés. Par exemple : vit-on désormais dans un monde où n’importe quelle croyance, dès lors qu’elle est professée avec conviction, prend valeur de vérité ? À cet égard, Mia Wasikowska affiche une sérénité terrifiante en prophétesse du « zéro nourriture ».
La dérive sectaire est implacablement modulée, mais le film baigne dans une artificialité telle qu’il se crée une distance plutôt qu’une proximité vis-à-vis du drame en cours. La direction d’acteurs, qui contraint ceux-ci à livrer leurs répliques sur un ton figé, n’aide pas.
Souvent, la stylisation formelle l’emporte sur la psychologie des personnages. C’est vrai pour les partitions adultes, mais adolescentes également.
Malgré tout cela, un lien d’empathie se forme avec les jeunes protagonistes en détresse à leur insu. Dans ce contexte, les accents satiriques, voire sardoniques, déconcertent plus qu’ils ne font sourire.
En effet, le spectacle de ces adolescents qui se laissent mourir à petit feu en croyant vivre mieux est douloureux, peu importe le second degré de l’enrobage cinématographique. D’ailleurs, le dénouement, en phase avec le conte, mais assorti d’un épilogue distinct, s’avère d’un cynisme limite suffisant. Voilà qui, sans mauvais jeu de mots, laisse un arrièregoût fort déplaisant.
Club Zero (V.O., s.-t.f.)
Drame de Jessica Hausner. Scénario de Jessica Hausner et Géraldine Bajard. Avec Mia Wasikowska, Sidse Babett Knudsen, Mathieu Demy, Elsa Zylberstein, Amir El-Masry. Autriche–Royaume-Uni– Allemagne–France–Danemark, Qatar, 2023, 110 minutes. En salle.