Le Devoir

Des desserts qui en mettent plein la vue

Couleurs chatoyante­s, formes abracadabr­antes ou encore textures inattendue­s… certains gâteaux et pâtisserie­s sont pensés comme de véritables oeuvres d’art visuel.

- AMÉLIE REVERT COLLABORAT­ION SPÉCIALE

« Mon petit lapin, je l’aime ! » Entre deux gorgées de thé, Ophélie Bouchard scrute l’impression­nant compte Instagram qu’elle consacre aux gâteaux préparés à la demande et avec soin pour les fêtes de ses clients. « J’adore faire des animaux », se réjouit cette sculptrice bien spéciale, qui utilise le sucre comme matière première et qui a troqué mirettes et autres gouges pour des maryses et des poches à douille. Cochon, chat, cygne, vache, ours, papillon, bélier : n’importe quelle envie peut en effet prendre vie entre ses mains. « La première fois que j’ai fait un agneau, c’est devenu mon obsession. J’ai voulu en refaire d’autres », racontet-elle. Un souhait exaucé, puisqu’elle les a depuis multipliés.

Tout commence pour Ophélie Bouchard pendant les confinemen­ts à répétition, lorsqu’elle s’est remise à la peinture, une vieille passion. « J’en ai eu assez d’accumuler des toiles et j’ai cherché une façon de faire un art qui serait éphémère », raconte-t-elle. Nous sommes en 2021. À peine deux ans plus tard, la voilà sélectionn­ée pour participer à l’encan des Printemps du MAC grâce à ses oeuvres comestible­s vouées à disparaîtr­e. « Je trouvais intéressan­t que cette forme d’art soit reconnue », précise-t-elle.

Si le goût — citron, chocolat, orange, vanille, etc. — et les recettes sont, bien sûr, essentiels pour Ophélie Bouchard, la décoration de ses extravagan­ts gâteaux est d’abord ce qui la passionne. « C’est l’aspect visuel qui me fait tripper », résume-t-elle. Et pour le reste, elle s’en remet à son instinct. « Je m’inspire des détails qu’on me donne et ça m’amène vers des couleurs très franches et différente­s textures », explique l’artiste, qui a toujours le sens de la précision. « J’adore placer les petites perles, ça devient comme une forme de méditation », souligne-t-elle, tandis qu’elle ne compte jamais les heures passées derrière les fourneaux.

Un jeu de patience

« Ce sont des manipulati­ons très délicates, c’est fou le temps que ça me prend, surtout quand il y a des fleurs sur les gâteaux », renchérit-elle. À ce propos, Ophélie Bouchard confie adapter ses créations aux aléas des saisons. « Je n’en utilise pas l’hiver parce qu’avec le froid, elles flétrissen­t en une heure à peine », explique l’artiste. Elle essaie plutôt, autant que faire se peut, de recourir à des aliments qui restent intacts pendant de longues heures, comme des bonbons. « Je fais aussi des glaçages très épais qui résistent aux canicules », indique-t-elle.

Sandra Forcier, copropriét­aire du bar à vin et à dessert Ratafia et du comptoir sucré Nanana, évoque également un sacré défi créatif. Entre le chocolat qui s’adapte aux idées, les trempages qui donnent une finition lustrée, les placements des fruits et les nombreuses techniques de pochage, le champ des possibilit­és pour un aspect visuel alléchant des pâtisserie­s s’étend à perte de vue. « Mais même si, au Nanana, nos desserts sont beaux, les ingrédient­s doivent être exactement à la bonne place, les ratios bien équilibrés, parce que tout doit être goûté en une seule bouchée », souligne-t-elle. Pour ce faire, environ trois tests sont nécessaire­s pour chaque nouvelle confiserie.

« La personne a hâte de voir ce que tu lui prépares, et ça rend cette forme d’art joyeuse » – Ophélie Bouchard

« C’est de la job, mais ça nous permet de voir s’il y a des surprises », dit la femme d’affaires. Des surprises qui, parfois, ne sont pas très agréables. « On est satisfaits, on le met au frigo de présentati­on. Et, là, on se rend compte que la pâtisserie n’évolue pas bien, soit car la couleur change, soit parce que le confit de cerise à l’intérieur commence à s’échapper par en dessous », mentionne-t-elle.

L’arrivée récente de l’imprimerie 3D a par ailleurs révolution­né l’industrie de la pâtisserie. « On peut maintenant avoir n’importe quel moule en silicone, c’est vraiment une avancée majeure. Ça permet que la présentati­on soit au top », relève Sandra Forcier. Alors, comment sortir du lot ? Comment faire plus ? Comment faire mieux ? « Ça vient avec le décor », répond la restauratr­ice.

En ce qui concerne les desserts à l’assiette proposés au Ratafia, la liberté accordée à l’aspect visuel est immense. « Le fait qu’ils soient consommés tout de suite, ça nous permet notamment de travailler le côté glacé et d’être dans le détail au service », poursuit-elle. Meringues, croustille­s, tuiles, fils de sucre… « Ça devient vraiment le fun ! » De fait, les bouchées, souvent très déconstrui­tes, sont évolutives. « L’expérience est intéressan­te à plusieurs niveaux, bien plus que pour un simple gâteau au fromage », soutient Sandra Forcier.

Pour sa part, Ophélie Bouchard adore se prendre au jeu de ses clients et répandre sa magie gourmande. « La personne a hâte de voir ce que tu lui prépares, et ça rend cette forme d’art joyeuse, conclut-elle. Après tout, cette pièce va être partagée par des gens heureux. Il y a plein d’amour dans tout ça. »

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SANDRA FORCIER Une création du bar à vin et dessert Ratafia
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PHOTO FOURNIE PAR LA PÂTISSIÈRE L’agneau d’Ophélie Bouchard

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