Trouver l’équilibre dans le secteur de la santé
« Lorsque les travailleurs se prévalent des mesures de conciliation mises en place, ils peuvent ressentir un sentiment de culpabilité envers les collègues »
Le projet de recherche des professeures de l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal (ESG UQAM) Julie Delisle et Mariline Comeau-Vallée s’allie au parcours Équilibre et s’intéresse aux défis de la conciliation travail et vie personnelle des gestionnaires et de leurs employés dans le domaine de la santé. Aperçu de ce projet, qui vise à faire émerger des solutions.
Répondre à l’appel d’un client pendant un souper d’amis, dîner devant son ordinateur, surveiller les enfants pendant une réunion sur Zoom. On le sait, depuis la pandémie, les vies personnelles et professionnelles sont de plus en plus imbriquées, ce qui, selon la professeure Julie Delisle, fragilise la santé mentale des travailleurs. Si les difficultés de la conciliation travail et vie personnelle sont souvent semblables dans plusieurs domaines, elles sont, affirme-t-elle, exacerbées dans le secteur de la santé, « qui est particulièrement touché par la pénurie de main-d’oeuvre. C’est l’élément qui représente le plus gros défi en santé » et qui rend complexe la tâche d’un gestionnaire qui souhaite répondre aux demandes de conciliation des employés.
Dévoués, mais à bout de souffle
Financé par le ministère de la Famille, le projet de recherche de Mme Delisle et Mme Comeau-Vallée se construit en partenariat avec Marianne Burkic, fondatrice de l’entreprise Yapouni, à l’origine du parcours Équilibre. Un échantillonnage de huit gestionnaires en santé de la région de Montréal a d’abord répondu à une première ronde d’entrevues. Il appert que « lorsque les travailleurs se prévalent des mesures de conciliation mises en place, ils peuvent ressentir un sentiment de culpabilité envers les collègues », note Julie Delisle.
Les entrevues font ressortir également le fait que les jeunes générations ont des attentes de conciliation plus élevées, ce qui augmente la pression que ressentent les gestionnaires de l’échantillonnage de la chercheuse. « J’ai vu des gestionnaires qui en font beaucoup pour leurs employés et qui se donnent du travail supplémentaire pour les accommoder, soutient-elle. Si certains des gestionnaires interrogés semblaient en contrôle, le sentiment de surcharge varie au fil du temps et de ce qu’on vit, et mon avis personnel est que la surcharge est parfois tellement grande que ce n’est pas nécessairement jouable sur le long terme. »
Les gestionnaires interrogés ont, après la première ronde d’entrevues, suivi le parcours Équilibre. Sorte de « recette pour les gestionnaires, le parcours est un cheminement structuré qui amène les gestionnaires et leur équipe à coconstruire leurs piliers de collaboration et leur cadre optimal pour arrimer performance et équilibre », explique Marianne Burkic. Déployé chez Hydro-Québec, au CHU Sainte-Justine et chez Desjardins par le passé, le parcours s’articule autour de trois thèmes principaux, la concentration, la reconnaissance et les émotions. Les gestionnaires et leur équipe se penchent sur ces thèmes individuellement, en équipe et au niveau organisationnel.
« Pour le thème de la concentration, par exemple, à Sainte-Justine, les gestionnaires se sont aperçus qu’ils travaillaient le dimanche soir parce que c’était leur seul moment de concentration possible pour préparer leur semaine. En équipe, une entente a été conclue : [pas] de réunion le lundi matin et, sauf urgence, les employés se sont engagés à respecter ce bloc de concentration du lundi matin », explique Mme Burkic.
Contrer la culture de l’urgence
Ce parcours avec les gestionnaires a mis en lumière la culture de l’urgence omniprésente en santé. « Ces travailleurs sont toujours en train d’éteindre des feux. Par manque de temps, et donc de concentration, ce qui n’était pas un feu, souvent, en devient un ! » mentionne Mme Delisle. Leur détresse vient ainsi du sentiment de ne pas être en contrôle et de ne pas avoir le temps de bien faire les choses. L’amalgame de ce sentiment d’urgence associé à la culture émotionnelle de la culpabilité de prendre du repos est un terrain fertile aux problèmes de santé mentale. « Nous avons donc amené cette thématique pendant le parcours pour revaloriser le repos en le reliant à une meilleure qualité de soins et de présence aux patients, et en montrant que le repos permettait aux travailleurs de revenir vers ce qui, au départ, les avait amenés à oeuvrer dans ce domaine », explique Mme Burkic.
La troisième étape du projet, une deuxième ronde d’entrevues qui permettra d’observer les retombées du parcours et les défis qui demeurent, devrait se conclure d’ici deux mois. À la suite de quoi, un séminaire sera proposé à un plus grand nombre de gestionnaires. D’ici là, quelques solutions émergent. « Se mettre des limites, comme gestionnaire, et, si on adopte l’équilibre comme valeur, donner l’exemple à nos employés », souligne Mme Delisle. Revenir à ce temps de pause que représentait le dîner : un temps sans travail, un temps pour faire une marche. « Être transparent dans les mesures de conciliation qu’on offre à certains employés et proposer des mesures qui ont du sens pour minimiser la frustration », ajoute la professeure. Finalement, inclure toute l’équipe dans l’amélioration de la conciliation travail et vie personnelle pour que tous se sentent représentés dans les mesures prises, et « ainsi faire appel à la responsabilité de chacun dans l’amélioration de la culture de l’équipe », conclut Mme Burkic.