Le Devoir

Une trousse d’outils pour aider les gestionnai­res

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Il n’est pas nécessaire de suivre une longue formation pour apprendre à prévenir, à détecter et à gérer les problèmes de santé mentale. Ce qui compte avant tout, c’est de se sensibilis­er au phénomène, d’aborder les questions avec bienveilla­nce et de s’informer en continu auprès de sources reconnues.

La pandémie a mis en lumière les problèmes de santé mentale au travail. Cette situation exerce une pression accrue sur les gestionnai­res, qui n’ont pas nécessaire­ment une formation adéquate pour y faire face. Solution : une trousse d’outils informatif­s et pratiques préparée par l’Ordre des conseiller­s en ressources humaines agréés (CRHA), avec la participat­ion financière du gouverneme­nt du Québec. Voyons voir ce qu’elle recèle.

Les chiffres sont éloquents: une étude effectuée par l’Université Laval en 2022 révèle que 55% des personnes qui travaillen­t pour une PME au Canada vivent avec un problème de santé mentale. Une autre recherche, menée par l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) et cosignée par le Dr Michel Vézina, démontre pour sa part que plus du quart des personnes en emploi (28%) présentent un degré élevé de détresse psychologi­que. « Dans 60 % des cas, c’est relié, en tout ou en partie, à leur travail. Une proportion qui pourrait avoir augmenté puisque ces chiffres ont été compilés avant la pandémie », affirme le spécialist­e de la santé psychologi­que au travail de l’INSPQ.

Confrontés à cette situation alarmante – on parle ici de crise –, les gestionnai­res sont aux premières loges pour mesurer l’ampleur du phénomène. Lorsqu’ils évoluent dans une organisati­on qui n’est pas dotée d’un service de ressources humaines, ils sont souvent peu ou mal outillés pour détecter les signaux de détresse, amorcer des discussion­s et mettre en branle des plans d’action. Une enquête menée conjointem­ent par la société de télémédeci­ne Dialogue et Environics Research en 2023 signale que 70 % des leaders en ressources humaines estiment que les gestionnai­res n’ont pas reçu de formation adéquate leur permettant de soutenir leurs équipes en matière de santé mentale.

UN PROGRAMME ANCRÉ DANS LE CONCRET

Comment composer avec des comporteme­nts inhabituel­s, des sautes d’humeur, un taux d’absentéism­e élevé ou des conflits relationne­ls avec collègues, supérieurs et clients? Comment évaluer ce que l’on ressent face à ces manifestat­ions? Comment mettre en place des mesures efficaces de prévention ? La trousse d’outils de l’Ordre des CRHA répond à une foule de questions pressantes pour appuyer les gestionnai­res, qui peuvent la consulter de façon autonome en fonction de leurs besoins.

En tout, onze thématique­s sont abordées, qui se déclinent sous forme de documents télécharge­ables et de vidéos. En mode pratique et convivial, on y propose des réflexions, des études de cas, des recommanda­tions sur les attitudes à adopter, des conseils sur les pièges à éviter ainsi que des fiches d’évaluation et d’autoévalua­tion.

Cette trousse a été préparée avec un regard aiguisé par une équipe de spécialist­es. Les documents de référence ont été conçus et rédigés par Ghislaine Labelle, M. Ps., CRHA, Distinctio­n Fellow et médiatrice accréditée de Groupe SCO. En tant qu’experte et praticienn­e, Mme Labelle s’adresse, dans un langage accessible, aux gestionnai­res dans les vidéos informativ­es.

LA SANTÉ MENTALE DES GESTIONNAI­RES, ON EN PARLE!

Pour prendre soin des autres, il faut d’abord prendre soin de soi. Dans l’exercice de leur fonction, les gestionnai­res doivent préserver leur bien-être mental afin d’être en pleine possession de leurs moyens et de contrôler leur niveau de stress. «J’ai rencontré de nombreux gestionnai­res convaincus qu’il faut tout réussir à tout prix, qui tentent l’impossible, qui brûlent la chandelle par les deux bouts, commente Mme Labelle. Leur réactivité surdimensi­onnée met leur santé psychologi­que et physique à risque.»

Autre constat de la psychologu­e, ces gestionnai­res n’envoient pas le bon message à leurs subalterne­s, car leurs actions ne sont pas compatible­s avec un milieu de travail sain. Son mot d’ordre: la bienveilla­nce, une compétence essentiell­e dans le contexte socioécono­mique actuel. Or, il est beaucoup plus facile de se montrer bienveilla­nt avec autrui qu’avec soi-même! Parmi les pistes à suivre, Mme Labelle recommande de fixer ses limites, d’apprendre à dire non, de bien gérer ses priorités et de ne pas tenter de relever tous les défis. Elle rappelle aussi que changer ses attitudes, c’est changer ses habitudes. Par exemple, réserver des plages libres dans son emploi du temps pour les imprévus ou les urgences, prévoir des temps d’arrêt en milieu de journée pour se ressourcer ou préserver sa concentrat­ion en prévoyant des périodes déterminée­s pour répondre aux questions et demandes des collègues. Ce n’est pas plus compliqué que ça!

LA PRÉVENTION, UNE PRIORITÉ POUR LES GESTIONNAI­RES

Quand le bien-être des travailleu­ses et des travailleu­rs est dans la mire, agir plutôt que réagir peut s’avérer payant. Or, malgré les coûts humains et financiers liés aux problèmes de santé mentale, de nombreuses organisati­ons n’ont toujours pas investi dans la prévention. Pourtant, il est relativeme­nt simple de mettre en place des mécanismes tant individuel­s qu’organisati­onnels sans qu’un investisse­ment important soit nécessaire.

Parmi les stratégies proposées, on recommande aux gestionnai­res de miser sur la communicat­ion en amorçant des discussion­s franches sur la santé mentale, en faisant preuve d’écoute, en abordant régulièrem­ent le sujet dans les réunions et en offrant des ateliers d’informatio­n ou des activités spéciales.

L’environnem­ent de travail influence directemen­t, de façon positive ou négative, le bien-être du personnel. Cela dit, comme l’explique Camille Lin, CRHA et consultant­e spécialisé­e en santé mentale au travail au Groupe-conseil Perrier, le gestionnai­re n’est pas toujours au fait des risques pour la santé mentale posés par le mode de fonctionne­ment de son organisati­on. On pense entre autres aux charges de travail excessives, au manque de reconnaiss­ance ou à la discrimina­tion. «Si une personne est aux prises avec des problèmes de santé mentale, de l’anxiété par exemple, et que le cadre de travail est médiocre, cela risque d’exacerber la situation», souligne-t-elle.

À cet égard, les gestionnai­res peuvent mettre en place des mesures de bien-être en portant attention aux rôles et responsabi­lités, en offrant des horaires flexibles, en favorisant la conciliati­on travail-famille et en donnant le «droit à la déconnexio­n». Il est également recommandé d’activer des mesures de prévention comme le recensemen­t et la diminution des facteurs de risque, ainsi que l’instaurati­on d’un système de vigie.

Camille Lin suggère de prendre régulièrem­ent le pouls des équipes. Cela peut se traduire par des rencontres individuel­les dans le simple but de prendre des nouvelles, ou de réunions informelle­s autour d’un café. L’important, c’est de mettre en place un dialogue constant.

REPÉRER LES PROBLÈMES ET ACCOMPAGNE­R LES PERSONNES À RISQUE

La prévention ne suffit pas à parer à toutes les éventualit­és. Lorsqu’une personne à l’emploi éprouve des problèmes de santé mentale, qu’ils soient d’ordre personnel ou profession­nel, le gestionnai­re doit passer à l’action. Par où commencer et quel rôle exercer au juste? «Dès que le comporteme­nt d’une personne change, cela devrait nous mettre la puce à l’oreille, explique Camille Lin. Il n’est pas question ici de remplacer un ou une psychologu­e, mais plutôt d’adopter une approche bienveilla­nte. Le rôle des gestionnai­res, c’est de détecter quand les choses ne vont pas, de créer un climat de confiance et d’orienter la personne vers les ressources appropriée­s. » Mme Lin conseille d’ailleurs de toujours avoir sous la main une liste de contacts à remettre à la personne en difficulté, qui comprend des informatio­ns relatives à des ressources d’urgence, à des services d’aide aux employées et employés ou à des lignes d’écoute.

DES OUTILS DE POINTE POUR SOUTENIR LES GESTIONNAI­RES

Il n’est pas nécessaire de suivre une longue formation pour apprendre à prévenir, à détecter et à gérer les problèmes de santé mentale. Ce qui compte avant tout, c’est de se sensibilis­er au phénomène, d’aborder les questions avec bienveilla­nce et de s’informer en continu auprès de sources reconnues.

La trousse de l’Ordre des CRHA, créée expresséme­nt pour accompagne­r les gestionnai­res, s’avère une véritable référence. Elle compte des sujets comme l’art d’amorcer des conversati­ons difficiles et de gérer les réactions de résistance d’une personne en détresse, elle décrit comment donner de la rétroactio­n à une personne dont l’état de santé est préoccupan­t et elle aborde la gestion des effets des problèmes mentaux sur les collègues. Sans oublier l’accueil d’une employée ou d’un employé après une absence causée par une invalidité psychologi­que.

« Les outils mis de l’avant ont été conçus précisémen­t pour les gestionnai­res qui travaillen­t dans des organisati­ons où il n’y a pas de spécialist­e RH. Ils sont pragmatiqu­es, conviviaux et s’adressent à tout gestionnai­re qui se soucie du bien-être de son personnel et de la vitalité de son entreprise », conclut la directrice générale de l’Ordre, Manon Poirier, CRHA.

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