Protéger la santé mentale dans l’administration publique
Les gestionnaires de l’administration publique sont coincés entre l’arbre et l’écorce. D’un côté, des citoyens qui exigent des services publics performants, de l’autre, des employés sous pression, dont ils doivent préserver la santé psychologique.
Professeure agrégée à l’École nationale d’administration publique (ENAP), Nancy Brassard donne, depuis 2019, un cours sur la santé mentale au travail, destiné à ces gestionnaires. « Ce petit cours donnait droit à un crédit, mais en raison de sa très grande popularité, il a été bonifié et octroie désormais trois crédits, raconte-t-elle. Manifestement, les gestionnaires ressentent le besoin de se renseigner sur ce sujet. Je suis d’ailleurs en train de former une étudiante au doctorat, qui pourra elle aussi donner ce cours. »
Depuis 2021, les gestionnaires doivent s’adapter aux exigences rehaussées par la modernisation de la Loi sur la santé et sécurité au travail (LSST). Celle-ci introduit la notion de risques psychosociaux. Des éléments tels le soutien du gestionnaire, la charge de travail ou encore le harcèlement psychologique sont désormais considérés comme des facteurs de risque pouvant mener à des problèmes de santé psychologique.
Les employeurs doivent intégrer ces facteurs à leur programme de prévention et à leur plan d’action en santé et sécurité, se retrouvant ainsi sur la ligne de front de l’application de ces nouvelles normes. « Beaucoup d’entre eux ont dû se former sur le tas et se sentent laissés à euxmêmes, indique Nancy Brassard. Ils veulent avoir accès à des enseignements plus détaillés. »
Protéger la santé psychologique
Les gestionnaires doivent en outre composer avec la montée des problèmes de santé psychologique dans leurs équipes. Les plus récentes données de l’Enquête québécoise sur la santé de la population, de l’Institut de la statistique du Québec, révèlent une forte présence de la détresse psychologique chez les travailleurs de l’enseignement (30,7 %), des soins de santé et de l’assistance sociale (28,9 %) et des administrations publiques (26 %).
Le cours de Nancy Brassard aide les administrateurs à mieux comprendre ce qui concourt à la détérioration de la santé psychologique et à des problèmes de santé mentale. La professeure y aborde les manières de créer un milieu qui réduit la prévalence de ces facteurs de risque.
Dans un contexte où des pans entiers des services publics peinent à recruter et à conserver leur maind’oeuvre, les employeurs doivent également contribuer à redonner du sens au travail. Horizons de politiques Canada, un organisme qui conseille le gouvernement fédéral quant à son adaptation aux changements, a notamment publié en septembre dernier un rapport étoffé sur la création de sens et son importance pour les dirigeants politiques. Favoriser une expérience employé enrichissante et donner un sens au travail se trouvent aussi au coeur de la plus récente Stratégie de gestion des ressources humaines de la fonction publique du Québec.
S’attaquer au stress
À l’ENAP, la professeure agrégée en gestion des ressources humaines Maude Boulet aide les gestionnaires auxquels elle enseigne à détecter et à réduire les facteurs qui génèrent un stress excessif et qui risquent de causer des épuisements professionnels.
Sans surprise, elle rappelle que la surcharge de travail constitue l’un des facteurs de stress les plus importants. « Elle peut être quantitative, quand on est carrément débordé, mais elle peut aussi être qualitative, indique-t-elle. Ça arrive lorsqu’une personne se voit confier une tâche trop complexe pour ses connaissances, son expérience ou ses aptitudes. »
La professeure présente plusieurs stratégies aux employeurs. Certaines sont individuelles et concernent la capacité des gestionnaires et de leurs employés à augmenter leur résistance au stress et à mieux le gérer. « Mais on ne peut pas placer la diminution du stress sur les seules épaules des travailleurs, prévient Maude Boulet. Le plus important est de réduire les facteurs de risque organisationnels et de créer une culture du bien-être au travail. » Cela passe notamment par le renforcement de facteurs de protection, comme le soutien social de la part des gestionnaires et des collègues, la répartition des tâches et l’autonomie des employés.
Maude Boulet invite aussi les administrateurs à s’intéresser aux perceptions individuelles de leurs employés. Pas toujours facile, alors que certains d’entre eux supervisent des équipes de plusieurs centaines de salariés. Ils doivent avoir recours à des outils pour sonder les opinions et les attentes de leurs travailleurs, afin de baser leur approche sur des données probantes.
« Tous les employés n’éprouvent pas les mêmes besoins, rappelle-t-elle. Certains recherchent plus de soutien, d’autres veulent de la reconnaissance ou encore un allègement de leur tâche. On doit connaître ses travailleurs. »