Les droits de la personne, grands oubliés de la lutte climatique
La grande majorité des pays signataires de l’Accord de Paris font peu de cas de leurs engagements quant à la protection des droits de la personne, révèle une étude
La grande majorité des pays signataires de l’Accord de Paris font peu de cas de leurs engagements quant à la protection des droits de la personne dans un contexte d’adaptation aux changements climatiques, révèle une étude menée par des chercheurs québécois.
Seulement le tiers des 147 pays étudiés font référence au respect, à la promotion ou à la considération des droits de la personne dans leurs politiques nationales d’adaptation aux changements climatiques. Et ceux qui le mentionnent le font souvent en termes généraux, sans mesures concrètes de protection des populations vulnérables.
« Nous avons peu d’exemples concrets de pays où les droits de la personne ont un poids important sur les politiques d’adaptation. Ce n’était pas très surprenant, mais c’était quand même décourageant », admet Alexandra Lesnikowski, professeure adjointe au Département de géographie, d’urbanisme et d’environnement de l’Université Concordia et coautrice de l’étude parue en octobre dernier dans la revue Climate Policy.
Pour arriver à ce constat, la professeure Lesnikowski et Sébastien Jodoin, professeur à la Faculté de droit de l’Université McGill, ont évalué les plans nationaux d’adaptation en fonction de la place accordée aux personnes les plus vulnérables.
La pauvreté, le genre, l’ethnicité, l’appartenance à un peuple autochtone ou encore les handicaps physiques sont au nombre des facteurs qui rendent plus vulnérables aux nuisances causées par les changements climatiques.
« [Ces groupes] ont-ils été consultés sur la façon dont les changements climatiques affectent leur vie ? Ont-ils une influence sur les décisions, la façon dont l’argent sera dépensé et les types d’action priorisés ? » énumère Mme Lesnikowski à propos des pistes qui ont guidé son analyse.
Dans la plupart des cas, la réponse est non.
Or, le respect des droits de la personne, tant dans la réduction des gaz à effet de serre (GES) que dans les mesures d’atténuation et d’adaptation aux changements, est inscrit au coeur de l’Accord de Paris, signé en 2015 par 193 pays.
Mais comme pour la réduction des GES, il n’y a pas au sein de l’entente de « mécanismes de reddition de comptes vraiment efficaces pour sanctionner les pays qui échouent à respecter leurs engagements », déplore Alexandra Lesnikowski.
Outre ce constat désolant, l’étude contient quelques pistes intrigantes. Contrairement à ce à quoi on pourrait s’attendre, les droits de la personne ne sont pas l’apanage de pays riches occidentaux.
Ce sont plutôt les pays d’Amérique latine, des Caraïbes et de l’Afrique subsaharienne qui sont les plus nombreux à inclure des mentions de droits de la personne dans leurs politiques nationales. La plupart des pays riches ne le font pas, à l’exception du Canada et de la Norvège.
« Les pays qui performent moins bien sur les échelles d’égalité sociale et des droits de la personne ont tendance à détailler davantage ces droits dans leurs plans d’adaptation, révèle Mme Lesnikowski. Cela peut témoigner d’un effort réel de ces pays d’améliorer leur bilan en matière de droits de la personne. Mais cela pourrait aussi découler du fait qu’ils sont liés par des engagements bilatéraux avec de riches pays donateurs qui font du respect des droits de la personne une condition de leur aide. »
Le Canada, bon élève dans un groupe médiocre
Le Canada fait partie du groupe restreint de 12 pays, sur 147, qui mentionne les droits de la personne de façon détaillée dans sa Stratégie nationale d’adaptation aux changements climatiques, mise à jour l’été dernier.
« Cela ne veut pas dire que le Canada a adopté une approche d’adaptation basée sur les droits de la personne, mais que la discussion est ici plus avancée sur l’importance de considérer ces droits dans nos politiques d’adaptation », précise Mme Lesnikowski.
« Le Canada se classe parmi les pays qui font un peu mieux que les autres, poursuit-elle. Mais la barre est assez basse dans cette étude. Aucun pays n’est rendu là où la communauté scientifique le voudrait quant à la place accordée aux droits de la personne. »
Le Canada est pourtant loin d’être à l’abri des conséquences dramatiques que peuvent avoir les événements climatiques extrêmes sur les populations vulnérables. On peut prendre en exemple le dôme de chaleur accablante qui s’est abattu sur la Colombie-Britannique en 2021, faisant plus de 600 morts en une semaine.
« Si on regarde qui a été le plus affecté du point de vue de la santé, ce sont des gens à faibles revenus, dans des logements mal isolés et sans accès à la climatisation. Les rapports des coroners montrent très bien que certaines populations marginalisées et souffrant de problèmes de santé ont été affectées de façon disproportionnée », affirme celle qui dirige le Laboratoire de recherche sur l’adaptation aux changements climatiques de Concordia.
« Ce genre d’événements donne des exemples frappants de la façon dont certaines populations s’en tirent beaucoup moins bien que d’autres » face aux changements climatiques, estime Mme Lesnikowski.