La pirogue à voyager dans le temps

Quand l’archéologie expérimentale permet de repousser les frontières du passé

Le 1er juillet 2021, à Lac-des-Seize-Îles, dans les Laurentides, les résidents de la municipalité assistent à une scène pour le moins surprenante. Ce jour-là, parmi les bateaux à moteur, une pirogue sculptée dans un tronc d’arbre à l’aide d’outils en pierre fait sa première sortie publique. Cette embarcation est la première de ce genre à naviguer au Québec depuis des siècles !

Retour en arrière. Un an plus tôt, une pirogue du XIXe siècle est découverte sous les eaux du lac Papineau, en Outaouais. Jean-Louis Courteau, directeur du Centre d’interprétation des eaux laurentiennes (CIEL), est membre de l’équipe qui intervient pour la documenter. Cet objet le fascine, et il me contacte pour me poser une foule de questions. Sur le coup, j’ai peu de réponses à lui offrir.

Chaque année, des pirogues millénaires sont retrouvées au fond des lacs d’Amérique du Nord, mais on ne sait pas grand-chose sur elles. Certaines datent de la préhistoire. Aucune embarcation de cette époque n’a été retrouvée au Québec, mais elles y existaient vraisemblablement. « Et si on en faisait une ? » lance Jean-Louis Courteau. D’une part, les pirogues de la préhistoire et celles du XIXe siècle étaient semblables, bien que fabriquées avec des outils différents. D’autre part, nous avions maintenant un modèle à portée de main. Enfin, nous détenions des informations sur les méthodes de fabrication en contexte préhistorique, glanées ailleurs. Ainsi est né le projet d’archéologie expérimentale baptisé le Projet Pirogue.

Mais qu’est-ce que l’archéologie expérimentale ? C’est une méthode de recherche qui consiste à reproduire un artefact pour comprendre son mode de fabrication et son utilisation. L’idée paraît simple, mais la démarche s’avère complexe. L’objet fabriqué doit présenter les mêmes caractéristiques et fonctionnalités que l’original pour qu’on puisse en tirer des conclusions valables.

Grâce au Projet Pirogue, nous avons pu tester l’utilisation de différents outils du registre archéologique pour construire un type d’embarcation peu connu, puis expérimenter ses techniques de navigation. Par-dessus tout, l’expérience nous a permis de nous familiariser avec l’utilisation du feu comme outil. En effet, c’est à la braise que nous creusons le tronc de pin blanc qui forme l’embarcation. Cet usage du feu, fondamental durant la préhistoire, nous a aidés à fabriquer une pirogue avec plus de facilité, de rapidité et de précision qu’on l’aurait imaginé.

L’archéologie expérimentale est une science concrète. Elle se met facilement au service de l’enseignement de l’histoire et de la transmission des connaissances. Le Projet Pirogue nous aura aussi permis d’aller à la rencontre du public pour lui faire découvrir de manière originale des aspects insoupçonnés du passé. Finalement, le Projet Pirogue, c’est un voyage dans le temps !