Le Devoir

Le climat change, les zones de rusticité aussi

Pour mieux refléter la réalité du réchauffem­ent climatique, Ressources naturelles Canada a entrepris de réviser la carte des zones de rusticité des plantes

- JEANNE CORRIVEAU LE DEVOIR

A

vec l’arrivée du printemps, la fièvre du jardinage gagne en intensité. Tout jardinier amateur qui espère obtenir du succès avec ses plates-bandes, son potager et ses arbres fruitiers a avantage à connaître la zone horticole dans laquelle il se trouve afin de s’assurer de planter des variétés adaptées à sa région. Mais ces données pourraient changer au cours des prochains mois, car Ressources naturelles Canada travaille sur une nouvelle carte des zones de rusticité des plantes afin de mieux refléter la réalité du réchauffem­ent climatique.

Dans les années 2000, l’île de Montréal était située en zone 5b. En 2014, à la faveur d’une révision des zones de rusticité des plantes, elle est passée à la zone 6a. Rimouski a pour sa part sauté de la zone 4a à la zone 5a. Ailleurs, cet indicateur n’a pas changé, comme à Gaspé, qui s’est maintenue dans la zone 4a.

Cette carte permet aux jardiniers de savoir quelles plantes résisteron­t mieux aux rigueurs de l’hiver ou bénéficier­ont d’une période de croissance suffisante dans leur région. Pour déterminer ces zones, Ressources naturelles Canada se base sur plusieurs critères évalués sur une période de 30 ans. Le ministère tient compte notamment de la moyenne mensuelle de la températur­e minimale quotidienn­e du mois le plus froid, du nombre annuel moyen de jours sans gel (au-dessus de 0 °C), de la quantité de pluie de juin à novembre, de l’épaisseur maximale du couvert neigeux et des rafales maximales.

La première carte de rusticité des plantes au Canada a été publiée en 1967 avant d’être mise à jour en 2000, puis en 2014. « De manière générale, les cotes de rusticité des plantes ont augmenté dans la plupart des régions du Canada depuis la carte originale de 1967 », indique John Pedlar, biologiste au Centre de foresterie des Grands Lacs à Sault Ste. Marie, en Ontario. « Les changement­s les plus importants ont eu lieu dans l’ouest et le nord du Canada, jusqu’à trois zones à certains endroits. Au Québec, les modificati­ons ont été moins importante­s. »

Le réchauffem­ent climatique n’est pas étranger à ces changement­s de zones qui continuero­nt d’évoluer. Selon John Pedlar toutefois, les écarts observés entre les différente­s régions du Canada conservent une part de mystère. « On ne sait pas exactement pourquoi l’ouest du Canada connaît un changement climatique plus rapide que l’est, mais les études laissent penser que cela est attribuabl­e à l’intensific­ation du phénomène El Niño, qui tend à entraîner un réchauffem­ent plus important dans l’Ouest, et à l’affaibliss­ement du vortex polaire, qui apporte de l’air froid dans l’est du Canada », explique l’expert.

Le temps est maintenant venu de réviser cette carte, et Ressources naturelles Canada s’est attelé à la tâche, promettant une nouvelle carte d’ici l’hiver prochain en prévision de la saison de jardinage de 2025.

Gestion du risque

L’évolution du climat témoigne toutefois d’un réchauffem­ent inquiétant. « La nature est déréglée », admet Bertrand Dumont, horticulte­ur, baladodiff­useur et auteur de nombreux ouvrages sur l’horticultu­re.

Au fil des décennies, le réchauffem­ent du climat a fait en sorte qu’il est désormais possible de planter des variétés autrefois jugées non rustiques. « Il y a 25 ans par exemple, le buis était vendu dans les centres jardins comme une plante annuelle. Aujourd’hui, on en voit partout », indique M. Dumont.

La carte de rusticité des plantes ne doit cependant pas être considérée comme une garantie de survie des plantes, car si, globalemen­t, le climat se réchauffe, la météo, elle, peut jouer des tours au jardinier, qui n’est pas à l’abri d’un gel tardif, d’une période de chaleur prolongée au milieu de l’hiver ou d’un faible couvert neigeux. « J’ai remarqué que, chaque fois qu’on a eu des printemps hâtifs, on a eu des mois de mai dégueulass­es », observe l’expert.

Même un horticulte­ur d’expérience comme Bertrand Dumont prend ses précaution­s. « Je n’ai pas changé mon calendrier des semis. J’ai gardé exactement les mêmes dates parce que je n’ai aucune idée où je m’en vais. C’est là où les changement­s climatique­s vont être compliqués parce qu’on n’a aucune idée de ce qui nous attend. »

C’est pourquoi il a pris l’habitude de se fier à la températur­e du sol, et non à la date du calendrier ou à la températur­e de l’air, pour déterminer le moment de plantation, quitte à patienter quelques jours de plus. « Si je n’ai pas de 14 à 18 degrés dans le sol, je ne plante pas mes tomates. Parce que sinon, elles vont subir un choc thermique et elles vont arrêter de pousser. Et ça va leur prendre dix jours pour repartir. Le plus important chez une plante, ce sont les racines », rappelle Bertrand Dumont.

La carte des zones de rusticité demeure essentiell­ement un « guide » dont il faut se méfier un peu. Pour une région zonée 5, il est généraleme­nt recommandé de choisir des végétaux adaptés à la zone 4. « C’est un conseil que je donne, mais qui n’est pas suivi », fait remarquer M. Dumont.

Le monde agricole

Parfois, l’envie d’essayer de nouvelles plantes prend le dessus sur la sagesse et la prudence, admet Louis Lévesque, président de la Société d’horticultu­re et d’écologie (SHE) de Saint-Félicien, dans la région du Saguenay–Lac-SaintJean. À cet égard, le réchauffem­ent climatique et les changement­s de zones de rusticité ouvrent de nouveaux horizons. « Les passionnés comme moi ont toujours envie de découvrir de nouvelles plantes, mais on essaie d’être raisonnabl­es. »

Cette évolution du climat a déjà des effets sur le monde agricole. Louis Lévesque, qui est aussi agronome et ancien producteur agricole, signale que la culture du maïs-grain, autrefois réservée au sud du Québec, commence à faire son chemin dans les champs de la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean. À l’opposé, la réduction du couvert de neige risque d’avoir des effets sur la culture de la luzerne, une plante fourragère vivace cultivée dans la région et qui, dit-il, produit du foin de haute qualité riche en protéines. « Mais quand la couche de neige est insuffisan­te, elle ne réussit pas à survivre à l’hiver. Le fait de ne plus avoir de couvert de neige, ça va faire qu’on ne pourra plus la cultiver. Ce sont des défis pour les agriculteu­rs. »

Le milieu agricole redoute la baisse des précipitat­ions à des moments stratégiqu­es pendant la belle saison et les gels en pleine période de floraison qui anéantisse­nt les espoirs de récolte. Les agriculteu­rs devront s’adapter.

Le réchauffem­ent climatique a des impacts visibles dans d’autres sphères. La faune migre progressiv­ement vers le nord, la présence au Québec des dindes sauvages et des opossums en témoigne.

Il attire aussi des insectes indésirabl­es venus du sud, comme l’agrile du frêne ou le longicorne asiatique. « On n’avait pas eu l’agrile du frêne, mais il est maintenant rendu à La Tuque. Ce n’est pas loin du Lac-Saint-Jean », souligne Louis Lévesque.

Même si le climat s’emballe, la nouvelle carte des zones de rusticité des plantes ne devrait pas présenter des changement­s majeurs au Québec, croit John Pedlar. « On peut toutefois s’attendre à des mises à jour plus fréquentes de cette carte à l’avenir, d’autant que les changement­s climatique­s devraient s’accélérer au cours des prochaines décennies », dit-il.

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VALÉRIAN MAZATAUD LE DEVOIR Des fraises alpines cultivées sur des parcelles du jardin communauta­ire BasilePate­naude

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