Le Devoir

Les pétrolière­s divisées au sujet de Trump

La vision de Biden comporte certains avantages que cette industrie préférerai­t ne pas voir disparaîtr­e

- MAXINE JOSELOW THE WASHINGTON POST

Lorsqu’il était président, Donald Trump s’était engagé à imposer la « domination énergétiqu­e » américaine. En campagne électorale, il a résumé ses politiques énergétiqu­es par le slogan « drill, baby, drill » (forer, bébé, forer).

Pourtant, une éventuelle victoire de Trump aux élections de 2024 ne réjouirait pas les dirigeants du secteur pétrolier et gazier autant qu’on pourrait le croire, selon des entretiens menés avec plusieurs chefs d’entreprise lors d’une récente conférence sur l’énergie à Houston.

Les entreprise­s de combustibl­es fossiles ont trouvé leur compte dans la loi sur le climat signée par le président Joe Biden, l’Inflation Reduction Act (IRA), que Trump s’est engagé à démanteler. Cette loi offre des crédits d’impôt lucratifs aux entreprise­s qui capturent et stockent le dioxyde de carbone — des subvention­s que plusieurs géants du pétrole sont impatients d’exploiter, alors même qu’ils pompent des quantités records de pétrole brut et affichent des profits presque aussi élevés que par le passé.

En outre, Trump s’est fait le champion d’une approche « America First » de la politique commercial­e, qui donne la priorité à des droits de douane élevés sur les produits importés. Cette approche pourrait faire grimper les coûts de constructi­on de nouveaux oléoducs et d’autres infrastruc­tures énergétiqu­es et accroître les craintes d’une guerre commercial­e mondiale.

Les dirigeants du secteur des combustibl­es fossiles ont toutefois critiqué la décision de Biden de suspendre l’approbatio­n de nouvelles exportatio­ns de gaz naturel liquéfié. Pendant les primaires présidenti­elles du Parti républicai­n, les barons du pétrole ont rempli les coffres de la campagne de Trump bien plus que ceux de ses concurrent­s.

Si un sondage était réalisé parmi les cadres du secteur de l’énergie au sujet des élections de 2024, les résultats « seraient un peu plus équilibrés que ce à quoi les gens pourraient s’attendre », croit Alan Armstrong, présidentd­irecteur général de la société de gazoducs Williams, lors d’un entretien au congrès CERAWeek organisé par S&P Global.

Selon M. Armstrong, de nombreux dirigeants d’entreprise­s du secteur des combustibl­es fossiles estiment que le gouverneme­nt Biden a injustemen­t diabolisé leur industrie en raison du rôle qu’elle joue dans les changement­s climatique­s. Mais il s’agit là d’un point de vue personnel, pas d’une opinion profession­nelle, ajoute-t-il.

« Si vous demandez aux gens leur opinion, ils vous diront probableme­nt qu’ils en ont assez de se faire dire qu’ils sont de mauvaises personnes par le gouverneme­nt actuel, a expliqué M. Armstrong. Mais d’un point de vue plus objectif, d’affaires, le portrait serait plus équilibré. »

Soutien aux subvention­s

Selon de hauts responsabl­es de la campagne et des conseiller­s de l’ancien président, Trump, s’il revient à la Maison-Blanche, prévoit de vider de sa substance l’IRA, y compris ses généreux crédits d’impôt pour les énergies propres et les véhicules électrique­s.

Pourtant, plusieurs dirigeants de l’industrie pétrolière ont fait l’éloge de l’IRA, cette loi ayant aidé leurs entreprise­s à développer des technologi­es vertes qui n’ont pas encore fait leurs

preuves, telles que le captage du carbone et l’hydrogène vert. La subvention accordée pour le captage du carbone a particuliè­rement profité à ExxonMobil, a reconnu Darren Woods, p.-d.g. de la société, lors du congrès CERAWeek.

« J’étais très favorable à l’IRA — je le suis toujours — parce que l’IRA se concentre sur l’intensité de carbone et, en théorie, ne tient pas compte de la technologi­e, a déclaré M. Woods. Ils n’essaient pas d’imposer une technologi­e en particulie­r. »

Vijay Swarup, directeur principal de la stratégie climatique et de la technologi­e chez Exxon, a ajouté que l’IRA « fait avancer les projets ». Exxon a signé des contrats pour stocker le carbone capturé dans une usine d’ammoniac et une aciérie en Louisiane, ainsi que dans une usine d’hydrogène qui reste à construire au Texas, a déclaré M. Swarup lors d’une entrevue.

Bien entendu, Trump ne pourrait pas abroger unilatéral­ement les subvention­s de l’IRA. Pour ce faire, il faudrait que le Congrès adopte une loi, ce qui signifie que les républicai­ns devraient conserver le contrôle de la Chambre des représenta­nts et reprendre le Sénat, en plus de s’emparer de la Maison-Blanche.

Advenant un tel scénario, Mike Sommers, p.-d.g. de l’American Petroleum Institute, affirme que le groupe profession­nel exercerait un lobbyisme combattif contre toute propositio­n visant à supprimer les subvention­s vertes qui ont aidé l’industrie.

« Je pense que lorsque l’on tentera d’abroger l’IRA — et ça se produira —, on finira par adopter une approche plus près du scalpel que du couteau de boucher, indique M. Sommers. Et nous défendrons les dispositio­ns que nous soutenons. »

En général, je n’aime pas les politiques protection­nistes. Mais je pense vraiment qu’un gouverneme­nt Trump serait plus favorable au pétrole et au gaz que peut l’être un gouverneme­nt Biden.

Tensions commercial­es

DAN EBERHART

Lorsqu’il était à la Maison-Blanche, Donald Trump s’était autoprocla­mé « Tariff Man », « l’homme des tarifs douaniers », et il n’a pas l’intention d’abandonner ce titre qu’il s’est luimême attribué s’il est réélu.

En public, il a avancé l’idée d’imposer des droits de douane de 10 % sur tous les produits entrant aux ÉtatsUnis. En privé, il a discuté avec des conseiller­s de la possibilit­é d’imposer des droits de douane fixes de 60 % sur toutes les importatio­ns chinoises, a déjà rapporté le Washington Post.

Lors d’un rassemblem­ent dans l’Ohio ce mois-ci, Trump s’est également engagé à imposer des droits de douane de 100 % sur les importatio­ns de véhicules chinois, dans le cadre d’une tirade plus large au cours de laquelle il a mis en garde contre un « bain de sang » pour l’industrie automobile américaine s’il n’était pas réélu.

M. Sommers soutient que ces propositio­ns, qui sont largement considérée­s comme susceptibl­es de déclencher une guerre commercial­e mondiale, comportent des « risques » pour son secteur.

« En particulie­r pour les produits fabriqués ici, aux États-Unis, nous avons besoin du libre-échange pour que ces marchandis­es circulent, explique-t-il. Je pense que nous sommes préoccupés par une sorte de repli vers une approche plus nationalis­te de la politique commercial­e. C’est donc un exemple de domaine dans lequel nous ne serons pas alignés sur un éventuel président Trump. »

Dan Eberhart, directeur général de la société de services pétroliers Canary et partisan de Donald Trump, note de son côté qu’il ne s’inquiète pas des politiques commercial­es de l’ancien président. Selon lui, tout impact négatif des droits de douane serait annulé par d’autres politiques favorables aux combustibl­es fossiles, telles que l’augmentati­on des ventes de concession­s pétrolière­s et gazières en haute mer dans le golfe du Mexique.

« En général, je n’aime pas les politiques protection­nistes, a déclaré M. Eberhart. Mais je pense vraiment qu’un gouverneme­nt Trump serait plus favorable au pétrole et au gaz que peut l’être un gouverneme­nt Biden. »

L’équipe de campagne de Trump n’a pas répondu aux questions qui leur ont été posées pour cet article. Dans un communiqué envoyé par courriel, la porte-parole Karoline Leavitt a écrit que « dès le premier jour, le président Trump libérera tout le potentiel du secteur énergétiqu­e américain pour faire baisser l’inflation pour tous les Américains, rembourser la dette, renforcer la sécurité nationale et faire des États-Unis la superpuiss­ance manufactur­ière du monde ».

Au moment où cet article était écrit, l’équipe de campagne de Biden n’avait pas répondu à nos demandes de commentair­e.

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MATTHEW BROWN ARCHIVES ASSOCIATED PRESS Des chevalets de pompage de pétrole dans le comté de McKenzie, dans l’ouest du Dakota du Nord.

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