Le Devoir

La BACA, le grand rassemblem­ent

Les artistes de la 7e Biennale d’art autochtone viennent autant du Yukon que des Maritimes

- JÉRÔME DELGADO COLLABORAT­EUR LE DEVOIR

Née en 2012 comme une simple mais grande exposition de la galerie Art Mûr, la Biennale d’art contempora­in autochtone (BACA) a gagné en ampleur. Elle n’est plus uniquement montréalai­se et, plus que jamais cette année, elle est portée par un concept d’envergure nationale. La 7e édition couvre large, avec des commissair­es et une soixantain­e d’artistes en provenance d’un océan à l’autre, du Grand Nord aux limites sud du territoire canadien.

C’est ce que révèle la déclinaiso­n de l’équipe commissari­ale à quatre têtes, chacune représenta­nt un point cardinal. Emma Hassencahl-Perley, de la Première Nation tobique au Nouveau-Brunswick, porte la voix de l’Est, Jake Kimble, artiste chipewyan basé à Vancouver, celle de l’Ouest, Teresa Vander Meer-Chassé, de la Nation de White River, celle du Nord, et l’Anichinabé­e Lori Beavis, celle du Sud et du Centre.

« Le Sud ? Je ne sais pas ce que ça signifie. Je suis plus Centre, dit Lori Beavis, avec humour. Je me suis occupée [d’artistes] de l’Ontario et du Québec. » À son avis, la 7e BACA et son intitulé Récits de la création du monde concernent moins une division territoria­le qu’un échange d’expérience­s.

« L’ensemble parle de la façon dont on apprend à se connaître. Nous cherchons à dire qui nous sommes, d’où nous venons, poursuit la Montréalai­se d’adoption. La Terre est un concept qui varie beaucoup. »

Répartie entre sept diffuseurs québécois (quatre sur l’île de Montréal, trois ailleurs), la Biennale 2024 réunit une diversité de réalités. Elle prend des airs de grand rassemblem­ent ; ce que les Innus appellent Mamuhituna­nu.

Lori Beavis imaginait une biennale autour de l’île de la Tortue, nom par lequel des autochtone­s désignent l’Amérique du Nord. Le concept voulant que le territoire repose sur le dos d’une tortue ne fait cependant pas l’unanimité. « Selon Teresa [Vander Meer-Chassé], cette histoire ne circule pas au Yukon. Il a fallu changer d’orientatio­n », confie la directrice de Daphne, centre d’art du Mile End.

Il a donc été décidé d’élargir le programme et de présenter non pas un, mais des récits qui racontent le monde. « Il y a tellement d’histoires et d’idées qu’on a conçu sept sousthèmes », commente la commissair­e montréalai­se.

Première à Drummondvi­lle

Sept thèmes, sept lieux. Si, déjà en 2022, il fallait sortir de l’île pour voir la BACA dans sa totalité, Sherbrooke et Saint-Hyacinthe accueillen­t, encore cette année, une des exposition­s et, pour la première fois, Drummondvi­lle. C’est là, au DRAC, centre en art actuel, que se tient en avril la première exposition de l’événement. La BACA s’étale aussi sur le temps : la septième exposition, à Expression, à SaintHyaci­nthe, débute en juin.

Les récits d’Histoires du territoire, l’exposition au DRAC, sont des plus personnels, liant les artistes à leurs lieux d’origine. Oralité et matérialit­é s’entremêlen­t, littéralem­ent, dans les paysages à vol d’oiseau de Heather Shillingla­w, crie-métisse de l’Alberta. Ses tableaux composés à partir de tissus et de perles décrivent les forêts et lacs tels qu’elle les imagine fréquentés par ses ancêtres. Des mots de la poète métisse Marilyn Dumont, cousus à la main, contribuen­t à multiplier la provenance des récits de Shillingla­w.

En bois, acier et cuivre, le paysage abstrait de Michael Belmore, anichinabé, parle de son rapport à la terre et à l’eau, une affaire de résistance et d’adaptation. Avec une animation vidéo, Nicolas Renaud interprète un texte de Jean Sioui, poète de sa famille wendate, pour évoquer les rapports de pouvoir entre Blancs et Autochtone­s. Krystle Silverfox, de la Première Nation Selkirk (Colombie-Britanniqu­e), peint à l’acrylique des odes à la nature où symboles colorés, plans géométriqu­es et paysages réalistes s’harmonisen­t. Et ainsi de suite.

Pour Catherine Lafranchis­e, directrice de DRAC, accueillir la BACA permet de faire d’une pierre deux coups : « mettre davantage en avant des artistes autochtone­s » et « élargir les horizons » du public. « Notre réalité de centre en région fait en sorte que nous nous limitons souvent à la présentati­on d’artistes québécois pour des raisons financière­s », écrit-elle par courriel.

Les autres thèmes de la biennale incluent le surnaturel (Expression), les quatre axes non pas géographiq­ues, mais de bien-être que sont l’esprit, le coeur, la pensée et le corps (maison de la culture Verdun) ou encore, en fin de compte, l’île de la Tortue (La Guilde). C’est là que l’oeuvre à l’origine des réflexions de Lori Beavis a été placée, l’immense peinture Sky Woman, de Shelley Niro. « La femme céleste arrive en bas, se met à danser et la Terre prend forme. Le début de quelque chose », résume la commissair­e, enthousias­te de voir enfin en vrai cette oeuvre de 2001.

Récits de la création du monde

Biennale d’art contempora­in autochtone, divers lieux, en cours jusqu’en septembre, www.baca.ca/ communique-de-presse

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 ?? PHOTOS ADIL BOUKIND LE DEVOIR ET FRED CÔTÉ ?? En haut, la commissair­e de la Biennale d’art contempora­in autochtone 2024, Lori Beavis. À droite, l’exposition Récits de la création du monde. Histoires du territoire au DRAC.
PHOTOS ADIL BOUKIND LE DEVOIR ET FRED CÔTÉ En haut, la commissair­e de la Biennale d’art contempora­in autochtone 2024, Lori Beavis. À droite, l’exposition Récits de la création du monde. Histoires du territoire au DRAC.

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