Le Devoir

Rénover le patrimoine, un projet de fous ?

Une nouvelle série présentée par Télé-Québec s’intéresse au patrimoine bâti québécois

- JEAN-FRANÇOIS NADEAU LE DEVOIR

Le genre semble désormais faire fortune à la télévision : la rénovation. La chaîne Télé-Québec propose cette saison, avec le comédien André Robitaille à la barre, une série de dix émissions consacrées à la préservati­on et à la restaurati­on de bâtiments patrimonia­ux. En plus, des documents supplément­aires sont offerts sur le site Internet de Télé-Québec.

Depuis des années, ce sont surtout les émissions consacrées à la cuisine qui faisaient recette. Ce qui n’a pas empêché la population de manger trop gras, trop sucré, trop salé. Un paradoxe similaire risque-t-il de se montrer le nez désormais qu’il est question partout de rénovation ?

Dans le premier épisode de Bien bâti, André Robitaille affirme à la caméra que « plusieurs bâtiments ancestraux, dont l’usage devient désuet, peuvent tomber dans l’oubli ou être abandonnés ». Mais des fois, ajoute-t-il, « on rencontre des beaux fous qui sont prêts à prendre l’initiative pour sauver ces lieux et donner un autre sens à ces bâtiments ».

Les « beaux fous »

Faut-il seulement espérer de « beaux fous » et marteler l’idée, comme le fait en quelque sorte cette série, que seules leurs volontés conjuguées peuvent sauver le patrimoine d’un pays ? « On dirait bien que oui, hein ! » répond André Robitaille en entrevue, tout en soulignant que les conditions de travail de plusieurs artisans, rencontrés au fil des tournages, lui sont apparues sommaires. « Geneviève Gamache par exemple, la vitraillis­te qu’on présente dans la série, elle est installée dans son soussol, sans trop d’éclairage ! »

La magie de la télévision nous fait pénétrer dans une ancienne école de Sherbrooke. Elle a été restaurée par un couple d’amis proches d’André Robitaille. « On fait table rase et on recommence », dit la propriétai­re pour expliquer son projet de reconversi­on de cette vieille école qui a scellé, par l’entremise du chantier, un nouveau rapport amoureux. Les planchers originaux en bois ont été arrachés. Ce qui a révélé des bouts de papier laissés par des écoliers d’autrefois. Le toit en métal, par contre, est demeuré intact depuis 1883, affirme le couple.

La série nous transporte aussi dans une vieille chapelle des Laurentide­s, Saint-John The Divine, récupérée par un couple qui s’y est finalement marié. L’église ressemble à une maison enchantée. Le clocher, aménagé en salle de bain, est en tout cas magique. Ce « lieu a une emprise » sur ses occupants, affirme la propriétai­re, en nous montrant sa collection de petits anges.

À Sainte-Foy, une vaste église d’après-guerre, signée par l’architecte Jean-Marie Roy, a pour sa part été transformé­e au bénéfice de la communauté. Elle abrite désormais la bibliothèq­ue Monique-Corriveau. Que faire avec les quelque 2000 églises du Québec en attente de reconversi­on ? Faut-il créer, en les convertiss­ant, un vaste réseau de bibliothèq­ues comme celle-là ? « Si on laisse les églises sans usage, on va les perdre », affirme en tout cas Martin Dubois, spécialist­e de l’oeuvre de Jean-Marie Roy.

André Robitaille considère la question de l’avenir des églises québécoise­s comme majeure. « Elles sont belles. Ce sont toujours les bâtiments les mieux situés. Mais qu’est-ce qu’on va faire avec ? » Il affirme avoir été sensibilis­é à cette question par son frère, le responsabl­e de la reconversi­on du monastère des Augustines à Québec. « Interviewe­r mon frère dans la série, c’était pour moi une expérience particuliè­re ! »

À Saint-Nicolas, voici deux familles qui cohabitent dans une imposante demeure de la Nouvelle-France. Une des propriétai­res affirme que nous sommes tous, comme Québécois, responsabl­es de trésors pareils. Dans les faits, ces gens-là sont seuls à travailler à préserver ces bâtiments, constate André Robitaille. « Tous les jours, c’est ça leur projet : la maison. »

Des artisans méconnus

Cette série célèbre aussi des artisans. À Saint-Jean-Port-Joli, voici une entreprise qui restaure de lourds radiateurs en fonte pour leur donner une deuxième vie. Vous croisez aussi Michel Martel, spécialist­e en restaurati­on de maisons anciennes. Et voici un ferblantie­r couvreur, Jean-François Éthier. Ce dernier crée des toits de tôle « à la canadienne ». Quelle est la durée de vie d’un toit pareil ? « Cent ans, facile. » En comparaiso­n, combien de tonnes de bardeaux d’asphalte des maisons d’aujourd’hui sont jetées chaque année dans les dépotoirs ?

En Montérégie, Lester Toupin, un maçon traditionn­el à l’heure de la retraite, affirme que ce n’est pas lui qui doit continuer, « mais le métier ». Certes, la passion et l’intérêt pour le patrimoine bâti se transmette­nt et s’enseignent par l’entremise de passionnés, de « beaux fous », comme le dit l’animateur. Mais en quoi le système québécois favorise-t-il une prise en charge collective du patrimoine ? « C’est une très bonne question ! » dit André Robitaille. « On va devoir la poser au ministère de la Culture et au gouverneme­nt ! »

Le ministre de la Culture, Mathieu Lacombe, a assisté au lancement de Bien bâti. « Le gouverneme­nt et le ministère soutiennen­t la série », dit André Robitaille.

Il y a quelques années, André Robitaille avait l’habitude de jouer au tennis avec François Legault, le député de L’Assomption devenu premier ministre. Leur arrivait-il de discuter à l’occasion, entre deux parties, de l’avenir du patrimoine québécois ? « Non ! Jamais. On voulait juste améliorer nos revers ! Et nous n’avons pas réussi », dit André Robitaille en riant.

Bien bâti

À Télé-Québec, mardi à 19 h 30 ; rediffusio­n vendredi à 19 h 30 et disponible sur telequebec.tv

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 ?? PHOTOS : TRIO ORANGE ?? En haut, l’animateur André Robitaille avec Adèle Blais et Jean-René Bélanger, les propriétai­res d’une ancienne école de Sherbrooke. En bas, la bibliothèq­ue MoniqueCor­riveau, à Sainte-Foy.
PHOTOS : TRIO ORANGE En haut, l’animateur André Robitaille avec Adèle Blais et Jean-René Bélanger, les propriétai­res d’une ancienne école de Sherbrooke. En bas, la bibliothèq­ue MoniqueCor­riveau, à Sainte-Foy.

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