Le Devoir

Comment traiter du suicide dans une oeuvre ?

L’Associatio­n québécoise de prévention du suicide dévoile un guide à destinatio­n des créateurs qui souhaitera­ient aborder cette délicate question dans leur oeuvre

- ÉTIENNE PARÉ

L’Associatio­n québécoise de prévention du suicide (AQPS) a élaboré un premier guide à l’intention des créateurs pour les conseiller sur la manière de traiter dans leur oeuvre d’un personnage qui s’enlève la vie. On y apprend que certains termes sont à proscrire, certaines façons de présenter le suicide aussi. Cette démarche part bien entendu d’une bonne intention, à savoir éviter un effet d’entraîneme­nt. Mais jusqu’où peut-on baliser la création artistique sans interpréte­r cela comme une certaine forme de censure ?

« Où tracer la ligne en effet ? C’est une préoccupat­ion que l’on avait dès que l’on a commencé à travailler sur ce guide », reconnaît Marie Hautval, courtière de connaissan­ces à l’AQPS. « Mais après, notre but, c’était surtout de créer un réflexe chez le créateur. Un peu de la même manière qu’un créateur va s’informer sur un personnage historique avant de faire un film biographiq­ue sur lui. Nous, ce que l’on veut, c’est qu’un créateur s’informe sur le suicide avant d’en parler. On ne veut pas dire quoi faire aux créateurs. À la fin, ce sont toujours eux qui ont le dernier mot », ajoute-t-elle.

À titre de « courtière de connaissan­ces », Marie Hautval a fait le pont entre les différente­s études sur l’effet d’entraîneme­nt et l’élaboratio­n de ce guide disponible sur le site de l’AQPS.

On y souligne notamment que lorsqu’un personnage se suicide dans une série, un film, une pièce ou un roman, il est « préférable d’éviter de décrire l’acte ou la méthode utilisée ». Le guide cite aux passages différente­s études qui tendent à démontrer que l’exposition à une manière de se suicider peut inspirer des personnes en détresse de passer à l’acte de cette façon.

Le document recommande aussi d’éviter certaines expression­s pour parler de suicide, comme « choix » ou « solution ». Les qualificat­ifs « réussie » ou « ratée » pour parler d’une tentative sont aussi à proscrire, selon l’AQPS, qui demande aux créateurs d’éviter tout romantisme ou glorificat­ion du suicide.

Si certaines études remettent en doute l’efficacité des traumavert­issements, l’AQPS maintient tout de même qu’ils peuvent être utiles pour prévenir une personne fragile que la question du suicide sera traitée dans une oeuvre.

« Beaucoup de personnes qui ont déjà été touchées par le suicide ou qui ont déjà eu des idées suicidaire­s nous ont dit que les traumavert­issements avaient été bénéfiques pour elles. Ça leur permettait de ne pas regarder des oeuvres qui les auraient exposées à des traumatism­es », fait valoir Marie Hautval.

Éviter l’effet d’entraîneme­nt

L’effet d’entraîneme­nt a été maintes fois documenté en ce qui concerne le traitement médiatique du suicide. Au Québec, par exemple, on a parlé d’un « effet Girouard » pour décrire la préoccupan­te hausse de suicides et d’appels de détresse dans les semaines qui avaient suivi le décès du journalist­e vedette Gaétan Girouard, en 1999. Les médias s’étaient alors beaucoup attardés sur la manière dont Gaétan Girouard s’était enlevé la vie. Depuis, la presse évite le plus possible de dévoiler les détails ou les circonstan­ces d’un suicide, se concentran­t sur les effets négatifs du drame sur l’entourage.

« Il y a vraiment eu un avant et un après Gaétan Girouard. Les médias ont vraiment été sensibilis­és sur les erreurs à ne pas commettre », se réjouit Hugo Fournier, le président-directeur général de l’AQPS.

La littératur­e scientifiq­ue n’est pas aussi tranchée sur l’effet d’entraîneme­nt que peut engendrer une oeuvre de fiction où est abordé frontaleme­nt le suicide. Pourquoi alors faire un guide visant précisémen­t le milieu culturel ?

« On n’a pas fait ce guide parce qu’on juge que le suicide n’est pas traité correcteme­nt au Québec actuelleme­nt. On a fait ce guide parce qu’on pense qu’une oeuvre peut dissuader quelqu’un de passer à l’acte si le suicide est traité de la bonne manière », raisonne M. Fournier.

On ne veut pas dire quoi faire aux créateurs. À la fin, ce sont toujours eux »

q ui ont le dernier mot. MARIE HAUTVAL

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