Comment traiter du suicide dans une oeuvre ?
L’Association québécoise de prévention du suicide dévoile un guide à destination des créateurs qui souhaiteraient aborder cette délicate question dans leur oeuvre
L’Association québécoise de prévention du suicide (AQPS) a élaboré un premier guide à l’intention des créateurs pour les conseiller sur la manière de traiter dans leur oeuvre d’un personnage qui s’enlève la vie. On y apprend que certains termes sont à proscrire, certaines façons de présenter le suicide aussi. Cette démarche part bien entendu d’une bonne intention, à savoir éviter un effet d’entraînement. Mais jusqu’où peut-on baliser la création artistique sans interpréter cela comme une certaine forme de censure ?
« Où tracer la ligne en effet ? C’est une préoccupation que l’on avait dès que l’on a commencé à travailler sur ce guide », reconnaît Marie Hautval, courtière de connaissances à l’AQPS. « Mais après, notre but, c’était surtout de créer un réflexe chez le créateur. Un peu de la même manière qu’un créateur va s’informer sur un personnage historique avant de faire un film biographique sur lui. Nous, ce que l’on veut, c’est qu’un créateur s’informe sur le suicide avant d’en parler. On ne veut pas dire quoi faire aux créateurs. À la fin, ce sont toujours eux qui ont le dernier mot », ajoute-t-elle.
À titre de « courtière de connaissances », Marie Hautval a fait le pont entre les différentes études sur l’effet d’entraînement et l’élaboration de ce guide disponible sur le site de l’AQPS.
On y souligne notamment que lorsqu’un personnage se suicide dans une série, un film, une pièce ou un roman, il est « préférable d’éviter de décrire l’acte ou la méthode utilisée ». Le guide cite aux passages différentes études qui tendent à démontrer que l’exposition à une manière de se suicider peut inspirer des personnes en détresse de passer à l’acte de cette façon.
Le document recommande aussi d’éviter certaines expressions pour parler de suicide, comme « choix » ou « solution ». Les qualificatifs « réussie » ou « ratée » pour parler d’une tentative sont aussi à proscrire, selon l’AQPS, qui demande aux créateurs d’éviter tout romantisme ou glorification du suicide.
Si certaines études remettent en doute l’efficacité des traumavertissements, l’AQPS maintient tout de même qu’ils peuvent être utiles pour prévenir une personne fragile que la question du suicide sera traitée dans une oeuvre.
« Beaucoup de personnes qui ont déjà été touchées par le suicide ou qui ont déjà eu des idées suicidaires nous ont dit que les traumavertissements avaient été bénéfiques pour elles. Ça leur permettait de ne pas regarder des oeuvres qui les auraient exposées à des traumatismes », fait valoir Marie Hautval.
Éviter l’effet d’entraînement
L’effet d’entraînement a été maintes fois documenté en ce qui concerne le traitement médiatique du suicide. Au Québec, par exemple, on a parlé d’un « effet Girouard » pour décrire la préoccupante hausse de suicides et d’appels de détresse dans les semaines qui avaient suivi le décès du journaliste vedette Gaétan Girouard, en 1999. Les médias s’étaient alors beaucoup attardés sur la manière dont Gaétan Girouard s’était enlevé la vie. Depuis, la presse évite le plus possible de dévoiler les détails ou les circonstances d’un suicide, se concentrant sur les effets négatifs du drame sur l’entourage.
« Il y a vraiment eu un avant et un après Gaétan Girouard. Les médias ont vraiment été sensibilisés sur les erreurs à ne pas commettre », se réjouit Hugo Fournier, le président-directeur général de l’AQPS.
La littérature scientifique n’est pas aussi tranchée sur l’effet d’entraînement que peut engendrer une oeuvre de fiction où est abordé frontalement le suicide. Pourquoi alors faire un guide visant précisément le milieu culturel ?
« On n’a pas fait ce guide parce qu’on juge que le suicide n’est pas traité correctement au Québec actuellement. On a fait ce guide parce qu’on pense qu’une oeuvre peut dissuader quelqu’un de passer à l’acte si le suicide est traité de la bonne manière », raisonne M. Fournier.
On ne veut pas dire quoi faire aux créateurs. À la fin, ce sont toujours eux »
q ui ont le dernier mot. MARIE HAUTVAL