Une union parentale qui « va entraîner certaines injustices »
L’exclusion du partage des revenus de retraite en cas de séparation est déplorée par des organismes qui dénoncent un désavantage pour les femmes
La réforme du droit conjugal de Simon Jolin-Barrette a pour but de rééquilibrer les relations entre personnes mariées et non mariées, mais elle pourrait créer un déséquilibre à l’intérieur même des couples en union libre, craignent des organismes de défense des droits des femmes.
Le noeud du problème réside, selon eux, dans le choix d’exclure les REER et les fonds de pension du patrimoine commun que formeront les futurs couples en « union parentale ». « C’est sûr que ça va entraîner certaines injustices », affirme la présidente de la Fédération des femmes du Québec (FFQ), Sylvie St-Amand, quelques jours après le dépôt par le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, du deuxième pan de sa réforme du droit de la famille.
Le projet de loi 56 « portant sur la réforme du droit de la famille et instituant le régime d’union parentale » aura pour effet, s’il est adopté tel quel, d’instituer un patrimoine commun pour les couples qui auront un enfant à partir de juillet 2025.
Comme pour un couple marié qui divorce, les personnes en « union parentale » qui se séparent se partageront la résidence familiale, la voiture et les meubles « en parts égales », prévoit le ministre Jolin-Barrette. Mais contrairement au régime marital, le patrimoine d’union parentale n’inclut pas les régimes de retraite et les fonds de pension. Après une séparation, chaque parent séparé partira donc avec la part des gains qu’il a lui-même cumulés durant l’union, à moins d’une entente au sein du couple.
Deux régimes
En conférence de presse la semaine dernière, le ministre Jolin-Barrette s’était justifié en rappelant que son projet de loi visait à créer un régime distinct du mariage. « [Les REER et les fonds de pension], ce sont des protections associées au mariage », avaitil dit. « Je pense que les Québécois doivent avoir […] des options. »
« Ça nous dérange », réplique la directrice générale de la Fédération des associations de familles monoparentales et recomposées du Québec (FAFMRQ), Mariepier Dufour. En entrevue avec Le Devoir, elle s’inquiète que les choix du ministre viennent davantage affecter le portefeuille des femmes à long terme.
« C’est une grande préoccupation qu’on a », soutient-elle. « C’est sûr que la femme qui met sa carrière de côté pendant son congé de maternité et pendant le congé parental, puis, pendant ce temps-là, ne peut pas mettre des sous de côté, ça crée un écart de revenu. »
D’autant plus, rappelle Sylvie StAmand, de la FFQ, que les femmes ont « souvent un emploi moins bien rémunéré ». Au début de l’an dernier, le Conseil du statut de la femme rapportait dans un mémoire qu’en moyenne en 2020, les femmes accumulaient un revenu de retraite environ 28 % moins élevé que les hommes — 16 500 $ par année contre 22 800 $ par année. Même chose pour le montant de la rente de retraite : l’écart entre les versements était de plus de 2000 $ annuellement, en faveur des hommes, selon les données de Retraite Québec.
« Même si les résidences ont pris beaucoup de valeur, dépendamment du nombre d’années que l’union a duré, c’est souvent les régimes de retraite qui sont la somme partageable la plus importante », constate la professeure titulaire Carmen Lavallée, directrice du programme de maîtrise en droit de l’Université de Sherbrooke, dans un entretien avec Le Devoir. « Quand on fait la liquidation du patrimoine familial, le nerf de la guerre, c’est le régime de retraite. »
Le peu d’épargne des femmes en vue de la retraite demeure donc une « cause importante d’appauvrissement », selon cette experte en droit de la famille, qui en avait pourtant fait part aux équipes du ministre avant la présentation du projet de loi.
Pension alimentaire
L’avocate Anne-France Goldwater, qui avait défendu Lola dans la fameuse cause Eric c. Lola il y a plus de onze ans, plaidait pour que le gouvernement caquiste fasse un copier-coller du régime marital pour l’appliquer aux conjoints de fait. L’exclusion des revenus de retraite du partage d’union parentale la fait fulminer.
« Je connais plein de dossiers où les deux conjoints ont exactement le même métier : banquier, médecin, peu importe. Et les salaires sont vachement différents parce que les choix de carrière sont différents. Alors c’est sûr, ça va se répercuter sur l’avenir des femmes », déplore-t-elle.
S’ajoute à cela l’impossibilité d’obtenir une pension alimentaire dans l’éventualité d’une séparation, soulève Carmen Lavallée. « La loi ne prévoit aucune possibilité d’obligations alimentaires entre conjoints. Je trouve, personnellement, que ça aurait pu être une façon de rétablir un certain équilibre, de réduire, finalement, les différences entre les conjoints », souligne-t-elle.
Si Me Goldwater qualifie de « catastrophe » la réforme de M. Jolin-Barrette, la FFQ et la FAFMRQ la voient malgré tout comme un pas vers l’avant. La possibilité pour la personne qui obtient la garde de l’enfant d’occuper la résidence familiale après une séparation, par exemple, devrait se révéler être un « filet de sécurité » pour les femmes, souligne Mariepier Dufour.
« C’est quand même une avancée, parce qu’une femme qui n’avait pas son nom sur un prêt hypothécaire, sur une maison, ne se verra pas obligée de quitter dans des délais qui ne font pas de sens », indique-t-elle.
La prochaine étape de l’étude du projet de loi est celle des consultations particulières. Les groupes concernés pourront alors se faire entendre, avant que les parlementaires procèdent à l’étude article par article du texte législatif, lors de laquelle ils pourront l’amender. Contacté par Le Devoir, le Conseil du statut de la femme n’a pas souhaité accorder d’entrevue. Il fera connaître ses commentaires « au moyen d’un mémoire le moment venu », a indiqué la conseillère en communication Chloé Thibault, dans un échange de courriels.