Le Devoir

Des vagues en zone inondable

- FRANÇOIS WILLIAM CROTEAU P.-d.g. de l’Institut de la résilience et de l’innovation urbaine, professeur et chercheur associé, François William Croteau a été maire de Rosemont–La Petite-Patrie.

En février, le Mouvement Desjardins a fait des vagues en annonçant la fin des prêts hypothécai­res pour l’achat d’une propriété située dans une zone inondable 0-20 ans. Pour les détenteurs de ces propriétés, l’incidence est sévère : une dévaluatio­n immédiate de leur bien, et des répercussi­ons profondes à terme pour de nombreuses familles. Mais cette décision était-elle anticipabl­e ? Absolument. Car les signaux d’alerte clignotaie­nt depuis longtemps. Face aux désastres climatique­s qui menacent les investisse­ments immobilier­s, il était inévitable que les institutio­ns financière­s adaptent leur politique pour sauvegarde­r leurs intérêts économique­s.

La pression que posent les catastroph­es climatique­s a le potentiel d’affaiblir les mécanismes de mutualisat­ion des risques, qui nécessiten­t un rajustemen­t des dispositif­s d’assurance et de financemen­t pour mieux gérer les risques associés à la transition et à l’adaptation climatique­s. Inévitable­ment, ce sont les détenteurs des biens immobilier­s — les propriétai­res de maisons individuel­les comme de copropriét­és — qui ressentiro­nt le poids financier de ces changement­s.

Les dangers sont bien documentés : inondation­s de plus en plus courantes, feux de forêt dévastateu­rs, glissement­s de terrain. Il ne faut pas sous-estimer non plus d’autres conséquenc­es menaçantes comme les refoulemen­ts d’égout et la multiplica­tion des sécheresse­s, qui va fatalement compromett­re l’accès à l’eau potable. Malgré leur variabilit­é, ces risques pèsent lourdement sur les épaules des investisse­urs immobilier­s aux prises avec la réalité d’un environnem­ent en mutation.

Pour Desjardins, les enjeux vont bien au-delà des risques mineurs. En tant que première entreprise d’assurance de dommages au Québec, l’institutio­n sait bien que ces risques auront des effets considérab­les sur ses prochains bilans annuels. On a pu observer une augmentati­on importante des primes d’assurance ces dernières années, une tendance qui touche l’ensemble du secteur.

Cette réalité est souvent mise de côté dans les discussion­s sur les répercussi­ons de la crise climatique. L’objectif de souscrire à une assurance pour ses biens est de se prémunir contre des sinistres susceptibl­es de les endommager ou de les détruire. Naturellem­ent, le montant de votre prime d’assurance est déterminé par la valeur de l’actif et le degré de risque auquel il est exposé.

Lorsque le risque devient plus fréquent ou se transforme en quasi-certitude, les assureurs adaptent leur offre. Ils peuvent soit augmenter les primes, soit exclure certains risques de leur couverture. Par exemple, si vous habitez dans une zone sujette aux refoulemen­ts d’égout, cela peut limiter votre couverture à un plafond précis, voire rendre certaines protection­s inaccessib­les. Conseil pratique en de tels cas : évitez de ranger des biens précieux au sous-sol !

Les désastres tels que feux de forêt, inondation­s et glissement­s de terrain illustrent bien pourquoi les assureurs se montrent réticents. Dans les zones à haut risque, ceuxci préfèrent souvent se retirer. Il échoit alors au gouverneme­nt d’offrir un filet de sécurité, une approche déjà adoptée dans certaines zones critiques au Québec.

La révision des zones inondables pose un défi majeur pour le gouverneme­nt, étant donné ses répercussi­ons considérab­les sur les ménages, les banques et les assureurs. Les responsabl­es avancent sur la pointe des pieds, et on peut très bien comprendre leur prudence.

Les révisions des plans d’urbanisme et des schémas d’aménagemen­t seront inévitable­s face à la crise climatique, nourrissan­t une prudence qui est aussi partagée par les élus locaux. Rappelons-nous toutefois que les autorisati­ons de constructi­on dans ces zones charmantes, mais vulnérable­s, émanent des villes et des gouverneme­nts. Aujourd’hui, ils portent une lourde responsabi­lité, car ils sont conscients des défis climatique­s à venir.

Dans le contexte actuel, où les entreprise­s privées peuvent prendre le pas sur les politiques publiques, notamment en matière d’adaptation aux risques climatique­s, il est essentiel de rappeler le rôle fondamenta­l du gouverneme­nt et des municipali­tés en la matière. Contrairem­ent aux entreprise­s, dont l’objectif premier reste la rentabilit­é, les institutio­ns publiques ont pour mission la sauvegarde de l’intérêt général et la protection du bien commun. Cette distinctio­n est particuliè­rement pertinente face à l’urgence climatique et à la nécessité de réviser nos politiques relatives aux zones inondables.

Auparavant, le rythme des changement­s était plus lent, ce qui permettait une adaptation progressiv­e. Avec l’accentuati­on de la crise climatique, ce rythme s’est dramatique­ment accéléré, plaçant les décideurs devant une complexité accrue. Critiquer ces derniers serait ignorer les défis sans précédent auxquels ils font face dans leurs efforts visant à concilier intérêt public et impératifs environnem­entaux.

Il est impératif d’accélérer les processus de révision des mesures compensato­ires et même de les anticiper pour éviter que d’autres propriétai­res ne subissent des revers financiers semblables à ceux provoqués par la récente décision de Desjardins. Cette situation n’est que le prélude à d’autres bouleverse­ments similaires. Quand les réassureur­s décideront de se retirer de ce type de couverture, les conséquenc­es pourraient s’avérer catastroph­iques.

Dans un contexte où la crise climatique s’intensifie et multiplie les phénomènes météorolog­iques extrêmes, l’adaptation n’est plus une option, mais une nécessité urgente. Nous devons agir vite pour intégrer ces risques dans nos plans et renforcer la résilience de nos communauté­s avec des processus plus agiles et réactifs.

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