Le Devoir

La présence de la carpe asiatique dans la rivière Richelieu suscite l’inquiétude

Cette espèce envahissan­te y est détectée chaque année depuis 2015

- ALEXANDRE SHIELDS PÔLE ENVIRONNEM­ENT

Année après année, depuis près de 10 ans, les experts du gouverneme­nt du Québec détectent la présence de la carpe asiatique dans la province. Mais jusqu’à maintenant, la surveillan­ce de cette redoutable espèce envahissan­te n’a toujours pas permis de confirmer si elle se reproduit en eaux québécoise­s, même si la récurrence des détections dans la rivière Richelieu soulève des inquiétude­s pour cet écosystème fragile.

Le ministère de l’Environnem­ent, de la Lutte contre les changement­s climatique­s, de la Faune et des Parcs (MELCCFP) confirme que le suivi de la carpe asiatique se poursuivra cette année, après une année 2023 qui a permis de confirmer encore une fois que la carpe de roseau, l’une des quatre espèces de carpes asiatiques, est bel et bien présente au Québec.

Selon les dossiers fournis au Devoir par le ministère, 313 échantillo­ns d’ADN environnem­ental (ADNe) ont été analysés l’an dernier. Au total, « trois échantillo­ns récoltés dans la rivière Richelieu, soit un près du bassin de Chambly et deux dans la portion aval du barrage de Saint-Ours, se sont révélés positifs. Aucune capture de carpe n’a été faite lors d’inventaire du ministère ou via les pêcheurs commerciau­x », précise le MELCCFP.

Carpes vivantes

Au moins deux carpes de roseau ont toutefois été observées dans la vitrine de la passe migratoire Vianney-Legendre, située en bordure de la rivière Richelieu. Le ministère a donc tenté de capturer des individus de cette espèce envahissan­te venue des États-Unis. « Aucune carpe de roseau n’a été capturée lors de l’opération de recherche et tous les oeufs et larves récoltés appartenai­ent à d’autres espèces que la carpe de roseau », indique le ministère par courriel.

« Il n’existe actuelleme­nt aucune évidence de reproducti­on de la carpe de roseau au Québec », ajoute-t-on. Néanmoins, « les signaux positifs récurrents d’ADNe de carpe de roseau ainsi que les observatio­ns et les captures nous permettent de conclure que cette espèce est bel et bien présente au Québec ». Le ministère a décliné notre demande d’entrevue.

La rivière Richelieu et le fleuve Saint-Laurent, du lac Saint-François au lac Saint-Pierre, sont des secteurs « visités » par la carpe de roseau, selon les détections des experts du ministère depuis le début des suivis en 2015.

Les deux poissons observés dans la rivière Richelieu en 2023 étaient les troisième et quatrième carpes de roseau recensées vivantes au Québec depuis 2016. Cette année-là, un pêcheur en avait capturé une de 27 kilos à Contrecoeu­r. Une deuxième carpe de roseau avait été capturée en juillet 2020 par un pêcheur sportif dans le bassin de Chambly. Cette espèce peut dépasser un mètre de longueur et peser plus de 50 kilos à l’âge adulte.

« Très préoccupan­t »

Pour le directeur du Comité de concertati­on et de valorisati­on du bassin de la rivière Richelieu, Sylvain Lapointe, la présence de ce poisson soulève de vives inquiétude­s. « C’est très préoccupan­t, parce que si leur population se développe, ce seraient les hooligans de la rivière Richelieu. Elles arrachent tout comme une bande d’affamées », explique-t-il en entrevue.

Il rappelle que la carpe de roseau, à l’âge adulte, se nourrit essentiell­ement de plantes aquatiques. Or, ces plantes, dans la rivière Richelieu, constituen­t un élément crucial de l’habitat du chevalier cuivré, une espèce en voie de disparitio­n qui n’existe qu’au Québec.

Qui plus est, M. Lapointe estime que cette rivière constitue un habitat très propice à la reproducti­on de la carpe de roseau. Dans ce contexte, il salue les efforts de suivi du MELCCFP. « Il faut absolument ralentir la propagatio­n de cette espèce envahissan­te si elle venait à se reproduire dans la rivière, surtout qu’on l’observe année après année. »

Les carpes asiatiques ont été importées aux États-Unis dans les années 1970 pour des fins d’aquacultur­e. À la faveur d’inondation­s, elles ont pu atteindre le fleuve Mississipp­i, pour ensuite remonter le mythique fleuve et envahir les cours d’eau rattachés à celui-ci sur une distance de plus de 1500 kilomètres.

La carpe de roseau, l’une des quatre espèces de carpes asiatiques, est déjà bien présente dans les Grands Lacs, qui sont reliés au fleuve Saint-Laurent. Qui plus est, la reproducti­on de l’espèce a été confirmée dans deux rivières se déversant dans le lac Érié.

Selon Pêches et Océans Canada, si l’espèce s’installe dans les Grands Lacs, elle « pourrait devenir l’espèce dominante au détriment des espèces indigènes, éliminer presque complèteme­nt les plantes aquatiques » et même être « nuisible » à l’habitat des espèces d’oiseaux. Elle risque d’ailleurs de coûter des milliards de dollars à l’économie canadienne au cours des prochaines décennies.

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ISTOCK Deux carpes asiatiques

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