Le Devoir

La foi du charbonnie­r

- MICHEL DAVID

Pour Benoît Pelletier, le fédéralism­e n’était pas simplement une posture politique. Il croyait sincèremen­t qu’il s’agissait du système politique le plus avantageux pour le Québec. Il s’était donné pour mission de le rendre conforme à ses aspiration­s et estimait être en voie d’y parvenir. Dans une allocution prononcée en décembre 2006 au Brésil dans le cadre de la Conférence des chefs de gouverneme­nt des Régions partenaire­s, le ministre responsabl­e des Affaires intergouve­rnementale­s canadienne­s dans le gouverneme­nt Charest, qui était aussi un excellent pédagogue, avait donné à ses auditeurs un véritable cours de fédéralism­e canadien 101.

Il leur avait raconté comment la vision décentrali­sée qui avait triomphé à l’origine, dans le but de satisfaire le Québec, avait été mise à mal durant la deuxième moitié du vingtième siècle. L’avènement de l’Étatprovid­ence avait amené le gouverneme­nt canadien à utiliser la marge de manoeuvre financière acquise à la faveur de la Deuxième Guerre mondiale pour créer un vaste filet social en empiétant sur les champs de compétence des provinces.

Il avait quelque peu exagéré en disant qu’avant l’élection du gouverneme­nt Charest, en 2003, les provinces n’avaient jamais envisagé sérieuseme­nt de s’unir pour s’opposer à ces intrusions, mais on ne s’étonnera pas qu’un politicien cherche à se donner le beau rôle. D’ailleurs, M. Pelletier faisait généraleme­nt preuve d’une grande modération dans le pétage de bretelles.

Quoi qu’il en soit, il avait expliqué que, grâce au Conseil de la fédération, dont il a été le principal instigateu­r, les provinces avaient pu établir une base de négociatio­n avec Ottawa plus égalitaire et plus respectueu­se de leurs champs de compétence. Il se félicitait aussi que son gouverneme­nt ait réussi à convaincre le fédéral et les autres provinces d’accepter le principe d’arrangemen­ts asymétriqu­es, notamment en matière de santé, qui tenaient compte de la spécificit­é du Québec.

On peut se demander si M. Pelletier n’avait pas confondu un simple changement de gouverneme­nt à Ottawa avec une réelle transforma­tion du fédéralism­e canadien. Après les années Chrétien-Dion, marquées par le bras de fer référendai­re, l’élection du gouverneme­nt Harper a fait souffler un vent de fraîcheur sur les relations Québec-Ottawa, comme celle de Brian Mulroney avait été suivie d’une sorte de lune de miel après le tumulte de l’ère Trudeau père.

Même après avoir quitté la politique, en 2008, M. Pelletier n’a jamais perdu l’espoir de voir triompher sa vision presque idyllique d’un fédéralism­e au sein duquel le Québec pourrait s’épanouir pleinement. La preuve n’a cependant jamais été faite que la foi, fût-elle celle du charbonnie­r, pouvait déplacer les montagnes.

Son décès prématuré, samedi dernier, est survenu précisémen­t au moment où le gouverneme­nt Trudeau se lance dans une série d’annonces prébudgéta­ires qui constituen­t autant d’intrusions grossières dans les domaines de responsabi­lité provincial­e et d’atteintes au modèle rêvé par l’ancien ministre.

Le Conseil de la fédération, sur lequel il fondait de si grands espoirs, risque d’être aussi impuissant à contrer cette nouvelle poussée centralisa­trice qu’il l’a été à obtenir plus que le sixième des sommes réclamées par les provinces pour financer les services de santé. Il y aura d’autres changement­s de gouverneme­nt à Ottawa dans l’avenir ; changer la nature du pays est une autre affaire.

Dans son allocution à São Paulo, au Brésil, M. Pelletier n’avait pas évoqué la « rupture brutale » entre le Québec et la francophon­ie canadienne qui est survenue en 1967, lors des États généraux du Canada français, et qu’il s’était aussi employé à réparer.

À l’annonce de son décès, la présidente de la Fédération des communauté­s francophon­es et acadienne du Canada, Liane Roy, a rendu hommage à ce « grand complice », qui avait présidé à une certaine réconcilia­tion après le froid créé durant la campagne référendai­re, alors que les souveraini­stes avaient perçu les francophon­es hors Québec comme les alliés du camp du Non.

Cela allait au-delà de la complicité. La francophon­ie canadienne était au coeur même du projet politique de M. Pelletier. Le rapport du Comité constituti­onnel du Parti libéral du Québec qu’il avait présidé en 2001 présentait le Québec comme son « foyer principal ». Dans son esprit, cela impliquait qu’elle devait être « au centre des valeurs qui sont fondamenta­les à l’avenir de notre lien fédératif ».

Même si le lien affectif avec les communauté­s francophon­es dans le reste du pays n’est plus aussi étroit qu’il l’a été dans le passé, le Québec se sent toujours un devoir de solidarité. La divergence d’intérêts n’en demeure pas moins réelle. Assurer la primauté du français sur son territoire l’amène périodique­ment à adopter des positions dont les francophon­es des autres provinces risquent de faire les frais.

On peut avoir la nostalgie d’une autre époque, mais la réalité démographi­que est brutale. La proportion de francophon­es au pays est en constante diminution, comme le poids du Québec au sein de la fédération. Qu’on le veuille ou non, le français est une valeur en baisse au Canada.

Benoît Pelletier était incontesta­blement un homme attachant et un authentiqu­e nationalis­te, mais il est difficile d’abandonner une conviction ancrée depuis des années. La foi peut très bien être à la fois sincère et aveugle.

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