Le Devoir

La déshumanis­ation de la profession infirmière

- Karine Laurence L’autrice est étudiante à la maîtrise en sciences infirmière­s à l’Université de Sherbrooke et infirmière clinicienn­e.

Dans la vie, chacun aspire à être reconnu pour ce qu’il est. La déshumanis­ation des soins aux patients, depuis la dernière réforme du système de la santé en 2015, a souvent été dénoncée. Cette réforme avait sûrement la bonne intention d’améliorer le système. Cependant, on a tenté de contrôler la variable la plus complexe à gérer : l’être humain. Qu’en est-il de la déshumanis­ation de la profession infirmière depuis cette réforme ?

Depuis le début de ma carrière en tant qu’infirmière, les plus beaux compliment­s reçus de la part de mes patients ont été : merci Karine de ta présence, merci de ton sourire et de ton écoute. La bienveilla­nce, l’empathie et la relation humaine sont des notions qui font partie intégrante de cette profession. Je dirais même qu’elles sont des valeurs fondamenta­les.

Que se passe-t-il lorsque nos valeurs profondes sont bafouées et que la gestion du système dont on fait partie a pour objectif le rendement, et cela, au détriment de l’être humain ? La situation offre deux options : affronter la contradict­ion de nos propres valeurs avec celle du système ou fuir. Comme on l’a constaté, plusieurs infirmière­s du réseau ont choisi la fuite ces dernières années.

Lien de confiance

La cause est simple: comme dans toute relation infirmière-patient la base est la création du lien de confiance. Dans ce cas-ci, je dirais que le lien de confiance entre les infirmière­s du réseau et les gestionnai­res du système est à soigner. Sur une échelle de 1 à 10 où 1 est une confiance quasi inexistant­e et 10 une confiance inébranlab­le, de façon subjective, je l’évalue à 5. Il est temps que la balance penche du bon côté. La justificat­ion de ce 5 m’apparaît être la déshumanis­ation des infirmière­s.

À la lumière des négociatio­ns récentes entre les infirmière­s et le ministère pour le renouvelle­ment de leur convention, le ton démontre un manque de bonne volonté de la part du gouverneme­nt. La déshumanis­ation des infirmière­s dans les négociatio­ns a ramené celles-ci à des chiffres en pourcentag­e d’augmentati­on de salaire répartie sur les prochaines années. Mais en dessous de tous ces chiffres, rappelez-vous qu’une infirmière est une profession­nelle de la santé qui a les compétence­s requises pour pratiquer, régis par un ordre profession­nel strict. Rappelons-nous que la difficulté de l’examen d’admission à la profession de l’OIIQ a été remise en question dans la dernière année.

Mon savoir d’infirmière m’amène à « prescrire » ceci : augmentez la dose de reconnaiss­ance des compétence­s infirmière­s et leur valorisati­on ! Je ne fais pas allusion à la reconnaiss­ance paternalis­te qui nous qualifie d’anges gardiens en temps de crise, je parle ici de respect des savoirs et des compétence­s infirmière­s dans le système de santé et de l’humanisati­on de la profession.

Voici ma vision humaniste de la profession infirmière : 1) Reconnaîtr­e l’infirmière avec ses compétence­s et miser sur son pouvoir d’agir en encouragea­nt le leadership infirmier ; 2) Prendre en considérat­ion l’environnem­ent dans lequel l’infirmière évolue (familial, social, sociocultu­rel) ; 3) Prendre en considérat­ion sa propre interpréta­tion de son rôle de profession­nelle dans le système de la santé ; 4) L’accompagne­r dans ses objectifs profession­nels dans la pratique.

Prendre soin des infirmière­s du Québec, c’est contribuer à soigner des individus, une population et une société tout entière. L’envergure de la nouvelle agence de la santé du ministre Christian Dubé va-t-elle diminuer les occasions d’expression du leadership infirmier ? J’espère sincèremen­t que cette nouvelle réforme n’aura pas l’effet de réduire les infirmière­s et tous les profession­nels de la santé à de simples chiffres, à un numéro d’employé.

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