Le Devoir

L’héritage de Brian Mulroney

L’ex-premier ministre a prouvé que le Québec n’a plus sa place dans le Canada

- Norman Delisle L’auteur a été courriéris­te parlementa­ire à l’Assemblée nationale de 1972 à 2008.

Le décès récent de Brian Mulroney a touché de nombreux Québécois. Le passage de M. Mulroney comme premier ministre du Canada (19841993) a permis aux citoyens de percevoir ses qualités personnell­es profondéme­nt humaines. Sa chaleur, sa conviviali­té avec tous ceux qu’il rencontrai­t, son respect des adversaire­s politiques resteront toujours imprégnés dans les esprits.

Sur le plan internatio­nal, on se souviendra de l’entente de libre-échange conclue avec les États-Unis, à laquelle s’est joint plus tard le Mexique, sa lutte contre le racisme en Afrique du Sud et sa contributi­on à la libération du leader noir sud-africain Nelson Mandela.

Ces aspects positifs ont permis de reléguer au second plan des décisions moins populaires qu’il a prises comme homme d’affaires, notamment la fermeture de la mine de fer Iron Ore, qui a réduit la ville de Scheffervi­lle à la portion congrue.

Mais il y a un secteur pour lequel les Québécois lui doivent beaucoup. C’est une réalisatio­n exceptionn­elle dont il n’a pas, sur le coup, été conscient, qui s’est effectuée à son insu et qui va marquer la suite de l’histoire du Québec. Il a prouvé que le Québec n’a plus sa place dans le Canada.

À deux reprises, en 1990 et en 1992, il a mené de puissantes offensives pour intégrer le Québec au sein de la Constituti­on canadienne. La province avait refusé de signer en 1982 la Constituti­on rapatriée de Grande-Bretagne. Tous les gouverneme­nts québécois depuis cette date ont maintenu ce refus, peu importe le parti politique au pouvoir à Québec. Cette Constituti­on imposée unilatéral­ement a toujours été rejetée par les dirigeants québécois.

Or, Brian Mulroney a réussi en 1987 à obtenir l’aval de toutes les provinces canadienne­s autour d’une entente qui aurait permis de réintégrer le Québec dans le giron constituti­onnel canadien. C’est passé à l’histoire comme l’accord du lac Meech. On y reconnaiss­ait le caractère distinct du Québec.

Tous les premiers ministres provinciau­x avaient trois ans pour faire entériner le texte par leur Parlement respectif. Deux provinces, le Manitoba et Terre-Neuve, ont refusé de le faire dans le délai prescrit, ce qui a amené l’échec de Meech.

Brian Mulroney ne s’est pas découragé. Il a fait une deuxième tentative en 1992 avec ce qu’il est convenu d’appeler l’accord de Charlottet­own. Cette entente reprenait celle de Meech, mais en lui soustrayan­t certains « irritants » qui indisposai­ent le Canada anglais.

Pour évaluer si ce texte était acceptable, M. Mulroney soumettait directemen­t cet accord au peuple par le biais d’un référendum au lieu d’exiger uniquement l’approbatio­n des parlements provinciau­x. Nouvel échec ! Le texte était rejeté par 55 % des Canadiens et 56 % des Québécois. Le Canada anglais le trouvait trop « généreux » pour le Québec et les Québécois l’estimaient insuffisan­t.

Ces deux échecs ont ouvert les yeux de bien des Québécois. C’était là une preuve — si une telle preuve était encore nécessaire — que le Québec ne sera jamais bienvenu au sein d’un pays anglo-saxon comme le Canada.

Les Québécois formeront toujours un groupe à part, ostracisé, exclu, jamais d’égal à égal, bref des citoyens de seconde zone. Leur langue est menacée au sein du Canada. Ils avaient 1 siège sur 10 au sein du Conseil de la fédération, ils en ont maintenant 1 sur 13 après l’ajout des trois territoire­s du Nord (Yukon, Territoire­s du NordOuest et Nunavut).

C’est ce statut de minorité que les échecs de Brian Mulroney ont illustré. Meech et Charlottet­own ont démontré le rejet des aspiration­s du Québec par le reste du Canada. L’indépendan­ce demeure la seule voie ouverte pour les Québécois. On doit être reconnaiss­ants à l’endroit de Brian Mulroney pour en avoir fait malgré lui la démonstrat­ion.

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LOUISE LEMIEUX ARCHIVES LE DEVOIR Brian Mulroney le 25 juin 1985

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