Être du bon côté de l’Histoire
Il est difficile d’argumenter pour un resserrement des liens du Québec avec Israël en ce moment
L’autrice est professeure adjointe à l’École de développement international et mondialisation de l’Université d’Ottawa. Elle a dirigé l’ouvrage collectif Approches féministes en relations internationales (PUM, 2022) et a écrit le livre
Perdre le Sud (Écosociété, 2020).
Bien que la ministre des Relations internationales du Québec affirmât récemment le contraire, le directeur du nouveau Bureau du Québec à Tel-Aviv, Alik Hakobyan, vient de passer un mois en Israël afin de préparer le terrain pour son équipe. Depuis les tragiques événements du 7 octobre dernier, le poste diplomatique était fonctionnel, mais n’avait pas été inauguré à Tel-Aviv comme prévu.
Comme le souligne la députée de Mercier, Ruba Ghazal, si même les États-Unis, le plus grand allié d’Israël, refroidissent leurs relations avec l’État juif, il est difficile d’argumenter pour un resserrement des liens du Québec avec celui-ci en ce moment.
Pour la première fois depuis le début des hostilités, Washington s’est récemment abstenu de voter sur une résolution de l’ONU qui exige un « cessezle-feu » immédiat dans la bande de Gaza. Jusqu’ici, le président étasunien refusait d’utiliser le terme et avait même utilisé son véto pour bloquer trois résolutions précédentes l’utilisant.
En plus d’exiger un cessez-le-feu pour le mois du ramadan, la résolution demande la fin des hostilités et « la libération immédiate et inconditionnelle de tous les otages ». Cette abstention est une gifle au visage du gouvernement de Benjamin Nétanyahou, qui a d’ailleurs annulé la visite d’une délégation israélienne officielle à Washington en représailles.
Pourquoi pas Alger ?
J’abonde dans le sens du gouvernement de la Coalition avenir Québec sur un point : un poste diplomatique du Québec au Moyen-Orient est une excellente idée. Il est temps de diversifier nos alliés à l’international, et une diplomatie implique forcément une présence physique accrue.
La ministre des Relations internationales, Martine Biron, affirme qu’il s’agirait pour le Québec d’une « porte d’entrée du Moyen-Orient ». Notons toutefois qu’il y a au moins 15 autres pays dans la région. L’Arabie saoudite est le plus important partenaire commercial bilatéral du Canada au Moyen-Orient : pourquoi ne pas s’installer à Riyad ?
Le Québec a plusieurs projets en cours en Égypte sur le plan des technologies de l’information, des technologies médicales, de l’aérospatiale et de l’agroalimentaire : pourquoi ne pas s’installer au Caire ? La troisième source d’immigrants au Québec (derrière la France et Haïti) est l’Algérie : pourquoi ne pas s’installer à Alger ?
Les arguments invoqués en août dernier dans un communiqué de presse justifiant ce bureau diplomatique à Tel-Aviv font aujourd’hui grincer des dents. Le cabinet de la ministre Biron affirmait alors qu’Israël est l’un des pays les « plus innovants et avancés au monde sur le plan technologique » et qu’il compte « le plus grand nombre de jeunes par habitant ». Ces arguments prennent aujourd’hui une autre portée alors que ces innovations technologiques servent à bombarder des hôpitaux palestiniens et que beaucoup de ces jeunes sont envoyés mitrailler la population de la bande de Gaza.
La ministre Biron affirmait que le Québec gardait un « équilibre » entre ses relations avec des établissements israéliens et ses relations avec des établissements palestiniens, mais un tel équilibre semble aujourd’hui peu probable.
La question n’est pas de savoir si la ville de Tel-Aviv est sécuritaire, comme le soutient la ministre. La question est la suivante : voulons-nous tisser davantage de liens avec un pays faisant actuellement l’objet d’une enquête par la Cour internationale de justice pour actes de génocide ? Aurions-nous installé un nouveau poste diplomatique à Pretoria en 1949 ou à Phnom Penh en 1976 ? Allons-nous en ouvrir un à Moscou alors que la Russie est en train d’annexer illégalement des régions ukrainiennes, même si la ville est calme et sécuritaire ?
Porte d’entrée
Même si les opinions divergent sur la légalité des actions d’Israël à Gaza, les forces militaires sous les ordres du premier ministre Nétanyahou ont tué plus de 30 000 Palestiniens et Palestiniennes depuis le 7 octobre, en grande majorité des civils. Tel-Aviv est la capitale d’un pays accusé par de hauts représentants des Nations unies de crimes de guerre.
Au-delà de l’emplacement de cette « porte d’entrée vers le MoyenOrient », la ministre a menti à la population québécoise. Il ne s’agit pas d’une promesse non tenue, d’un mensonge par omission ou d’une affirmation pas tout à fait exacte.
La ministre Biron s’est fait demander directement si le directeur du bureau était parti en Israël et elle a répondu non. Le chef du Parti québécois, Paul StPierre Plamondon, a bien fait de souligner qu’il s’agit d’une question de « transparence » et d’« honnêteté intellectuelle ». Le directeur du bureau était en train de préparer le terrain à Tel-Aviv depuis presque un mois quand la ministre a menti à la population québécoise.
Une pétition citoyenne de plus de 12 000 signatures a été déposée à l’Assemblée nationale le mois dernier par Québec solidaire pour dénoncer l’ouverture du bureau à Tel-Aviv. Il est encore temps d’être du bon côté de l’Histoire, il s’agit d’une question de volonté politique.
Le Canada a lui-même fait marche arrière en votant à la Chambre des communes le 18 mars dernier pour cesser l’octroi de nouveaux contrats d’armes à Israël, et il appelle aujourd’hui à un cessez-le-feu. Deux choses qu’il se refusait obstinément à faire depuis des mois. À ce stade, il y a trop à perdre à rester campé sur sa position, moralement et politiquement.