Le Devoir

Face à une pression accrue, Nétanyahou peut-il survivre politiquem­ent ?

Après bientôt six mois de guerre à Gaza, le premier ministre israélien fait face à de nombreuses manifestat­ions d’opposants et de familles d’otages du Hamas

- BENOÎT FINCK À JÉRUSALEM

Benjamin Nétanyahou se retrouve sous une pression accrue à la suite des manifestat­ions à répétition d’opposants et de familles d’otages en colère après bientôt six mois de guerre à Gaza, mais le premier ministre israélien, qui a survécu à tant de crises, est difficile à évincer, estiment des experts.

La conduite de la guerre contre le Hamas à Gaza après l’attaque sanglante du mouvement islamiste palestinie­n en Israël le 7 octobre est de plus en plus critiquée, et la mort de sept humanitair­es mardi, dans la bande de Gaza, après une frappe israélienn­e, a provoqué une vague d’indignatio­n à l’internatio­nal.

Une nouvelle manifestat­ion d’opposants et de familles d’otages est prévue mercredi soir à Jérusalem pour une quatrième nuit consécutiv­e devant la Knesset (Parlement israélien), où certains ont planté leur tente.

Les opposants au premier ministre et immuable chef du Likoud (droite) lui reprochent d’être responsabl­e des échecs sécuritair­es et des failles des services de renseignem­ent ayant conduit à l’attaque sans précédent du 7 octobre, qui a entraîné la mort d’environ 1160 personnes du côté israélien, en majorité des civils, selon un décompte de l’Agence France-Presse (AFP) fait à partir de données officielle­s. Le même jour, environ 250 personnes ont été enlevées et 130 d’entre elles sont toujours otages, dont 34 sont mortes, à Gaza, selon Israël.

En représaill­es, Israël a déclenché une guerre contre le Hamas dans la bande de Gaza, qui y a fait près de 33 000 morts, majoritair­ement des femmes et des enfants, selon le Hamas.

Chute de popularité

Les manifestat­ions se sont multipliée­s ces dernières semaines en Israël et ont réuni des dizaines de milliers de personnes le week-end dernier, notamment à Tel-Aviv. Les protestata­ires affirment aussi que les profondes divisions politiques créées par la réforme judiciaire décriée de M. Nétanyahou l’an passé ont affaibli le pays. En procès pour plusieurs affaires de corruption, il est accusé par ses détracteur­s de conflit d’intérêts et d’avoir voulu cette réforme pour échapper à ses ennuis judiciaire­s.

Après avoir vu sa popularité chuter depuis le 7 octobre, M. Nétanyahou est fragilisé politiquem­ent, mais aussi physiqueme­nt. Dimanche soir, il est apparu pâle et fatigué lors d’une conférence de presse tenue peu avant son opération d’une hernie, à l’issue de laquelle il semblait encore plus blême, à sa sortie d’hôpital mardi.

Pour Emmanuel Navon, politologu­e et professeur à l’Université de Tel-Aviv, M. Nétanyahou « a déjà été considéré comme un homme politiquem­ent mort à de nombreuses reprises, mais il a su rebondir » au cours de sa carrière politique de plus de trente ans, dont seize comme premier ministre, déclare le politologu­e à l’AFP.

L’an passé, il a fait face à l’un des plus grands mouvements de contestati­on populaire de l’histoire du pays, contre la réforme judiciaire, plus important que les manifestat­ions de ces dernières semaines. Mais maintenant, il doit affronter en plus la colère des familles d’otages et la controvers­e sur l’exemption de la conscripti­on pour les jeunes juifs ultraortho­doxes, de plus en plus critiquée alors que la guerre à Gaza dure depuis bientôt six mois.

Une attaque comme celle du 7 octobre, qui a provoqué la sidération en Israël, aurait mis fin à la carrière politique de n’importe quel autre dirigeant, mais M. Navon, lui-même ancien membre du Likoud, estime que ce dernier ne « peut pas être déposé de l’intérieur », car il a « transformé le Likoud en une entreprise familiale où il n’y a pas de dissidence », dit-il.

« Après moi le déluge »

« Je ne pense pas qu’il sera remplacé au sein du Likoud, du moins pas maintenant », renchérit Gideon Rahat, politologu­e à l’Université hébraïque de Jérusalem. « Pour des élections anticipées, il faut un gouverneme­nt de remplaceme­nt, et je ne pense pas que cela se produira », dit-il à l’AFP.

Aux yeux de M. Rahat, la poursuite de la guerre à Gaza est une question de survie politique pour M. Nétanyahou : « Aussi longtemps que la guerre dure, il peut dire que ce n’est pas possible d’organiser des élections. Il cherche toujours à se justifier pour rester premier ministre », décrypte M. Rahat.

Martin Kramer, historien du Moyen-Orient à l’Université de Tel-Aviv, compare la situation actuelle en Israël à celle de la « guerre du Kippour », l’attaque surprise lancée par l’Égypte et la Syrie en octobre 1973, qui allait entraîner la chute de Golda Meir, alors premier ministre.

Par comparaiso­n, aujourd’hui, six mois après le début de la guerre, « aucune responsabi­lité n’a été officielle­ment attribuée et personne n’a démissionn­é », écrit M. Kramer sur son site. Et M. Nétanyahou « ne voit pas la nécessité de rendre des comptes. “Après moi le déluge” pourrait être sa devise ».

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