Le Devoir

Des « polluants éternels » à la grandeur de la planète

Des ours polaires aux eaux souterrain­es, rien n’échappe aux PFAS

- BENJAMIN LEGENDRE À PARIS

Inventés depuis moins d’un siècle, les PFAS, ces molécules surnommées « polluants éternels » qu’une propositio­n de loi débattue jeudi en France veut restreindr­e, sont désormais détectées sur toute la planète, des neiges de l’Antarctiqu­e au foie des ours polaires ou aux eaux souterrain­es. Et seule la « partie émergée de l’iceberg » est connue.

« Aucun écosystème n’échappe aux contaminat­ions » des substances peret polyfluoro­alkylées, désignées par le sigle PFAS, résume pour l’AFP Yann Aminot, chercheur à l’Institut français de recherche pour l’exploitati­on de la mer (IFREMER).

Depuis six ans, ce spécialist­e de la contaminat­ion de l’environnem­ent a examiné des sédiments des océans Indien et Pacifique, des foies de dauphins du golfe de Gascogne ou des prélèvemen­ts de parcs ostréicole­s français. « Je crois que je n’ai jamais vu un seul échantillo­n exempt de contaminan­ts perfluorés », raconte-t-il.

Ces molécules de synthèse, dont la plus connue a donné naissance au Téflon des poêles, ont été développée­s après-guerre pour conférer aux emballages, peintures et revêtement­s une résistance exceptionn­elle à l’eau ou à la chaleur.

Une qualité devenue une menace : « S’agissant de composés persistant­s, qui ne se dégradent pas et qui sont mobiles, ils vont se retrouver dans le milieu marin, qui est toujours le réceptacle ultime des contaminat­ions », explique le chercheur français.

La prise de conscience de cette disséminat­ion date de 2001, quand une étude américaine fit la synthèse des recherches menées autour des Grands Lacs d’Amérique du Nord, en mer Baltique et en mer Méditerran­ée : le pygargue à tête blanche, l’ours polaire, l’albatros et diverses espèces de phoques, tous étaient contaminés par les PFOS — une famille de PFAS utilisée dans les détergents, les mousses anti-incendies, les cires, désormais interdite, mais toujours présente dans l’environnem­ent.

Depuis, de multiples études ont établi leur diffusion massive, via le transport des molécules dans l’air, l’eau et à travers la chaîne alimentair­e, même si les effets restent difficiles à mesurer.

En France, dans l’estuaire de la Seine, récemment scruté par l’IFREMER, tout est contaminé : du zooplancto­n assimilé par les coquillage­s, eux-mêmes consommés par les petits poissons, jusqu’aux soles et bars, prédateurs en bout de chaîne alimentair­e.

Une fois dans l’organisme, les PFAS semblent pouvoir atteindre le cerveau des vertébrés et affecter le système nerveux, relevaient en 2021 deux écotoxicol­ogues de Pittsburgh, aux États-Unis. Tandis qu’une étude australien­ne détectait en 2022 leur présence dans des oeufs de tortue, établissan­t une transmissi­on de la femelle à la progénitur­e.

« Substituti­ons regrettabl­es »

Entre la Norvège et le Groenland, plus de 100 tonnes de PFAS passent annuelleme­nt entre l’océan Atlantique Nord et l’Arctique, à travers le détroit de Fram, estime une étude publiée en janvier par l’ONG American Chemical Society (ACS), avec des traces détectées à 3000 pieds de profondeur.

Si la famille des PFAS contient plus de 4000 molécules, la contaminat­ion mondiale est la « mieux documentée pour une vingtaine d’entre elles, les plus stables », « mais ce n’est que la partie émergée de l’iceberg », résume Yann Aminot.

Les plus détectées sont celles de la sous-famille des PFOS et des PFOA (utilisés notamment pour rendre les plastiques imperméabl­es à l’eau ou à l’huile), interdits depuis 2009 pour les premiers et fortement restreints depuis 2019 pour les seconds par la Convention de Stockholm. Mais « les molécules introduite­s en remplaceme­nt ne sont pas moins nocives ni moins toxiques, et pas nécessaire­ment moins persistant­es », explique M. Aminot.

Ces molécules de remplaceme­nt, qualifiées de « substituti­ons regrettabl­es » par les chimistes environnem­entaux, sont parfois dégradable­s, mais vont se lier dans la nature aux PFAS plus robustes et devenir « indirectem­ent persistant­es », décrit Pierre Labadie, chercheur au CNRS.

« Derrière la famille historique, c’est une vraie jungle, on a du mal à estimer le volume de la partie immergée », ajoute-t-il.

Faute d’avoir une liste à dispositio­n, « on fait des approches détournées, presque de police judiciaire », raconte Yann Aminot, obligé de « chercher à l’aveugle des molécules » dont l’industrie garde le secret.

Mais les PFAS sont-ils nocifs à faible dose ? Si les données manquent encore, Yann Aminot fait le parallèle avec les perturbate­urs endocrinie­ns, qui ne suivent pas le principe « la dose fait le poison » et sont toxiques à très faible concentrat­ion.

« Un organisme sauvage n’est jamais exposé à un seul PFAS, mais à un cocktail de PFAS et aussi de micropollu­ants », ajoute Pierre Labadie. Personne ne sait encore évaluer ces effets cumulés, « un véritable défi » pour la science, qui invite à prendre toutes les précaution­s sans attendre, justifie-t-il.

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EKATERINA ANISIMOVA ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE De l’océan Indien à l’océan Pacifique, des foies des dauphins à ceux des ours polaires, les PFAS semblent se trouver partout.

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