Entre désamour et solidarité francophone
La semaine prochaine, deux événements viendront souligner l’importance des relations entre la France et le Québec. Le premier se tiendra à Québec, où, après être passé par Ottawa, le premier ministre Gabriel Attal se rendra pour prononcer un discours à l’Assemblée nationale. Le second est le Festival du livre de Paris, dont l’invité d’honneur cette année est le Québec et où une quarantaine d’auteurs québécois s’apprêtent à débarquer.
Faut-il parler de « retrouvailles » ? Dans le premier cas, les premiers ministres semblent renouer avec la tradition des rencontres qui doivent normalement se tenir tous les deux ans alternativement à Québec et à Paris. Or, la dernière rencontre s’était tenue en France en 2018. On nous dira que ce délai est dû à la COVID ; on ne sache pourtant pas que l’épidémie ait duré six ans. La venue des écrivains québécois à Paris ne survient quant à elle qu’une vingtaine d’années après que le défunt Salon du livre de Paris eut invité le Québec. Ce qui, toutes proportions gardées, permettrait de croire que les écrivains ont la fidélité plus chevillée au corps que les politiques.
Le dernier représentant de la France à s’être adressé à l’Assemblée nationale du Québec fut François Hollande en 2014. Emmanuel Macron, lui, avait annulé son discours à la dernière minute en 2018. Les mots choisis et les phrases ciselées auxquels nous a habitués Gabriel Attal, le plus jeune premier ministre de la Ve République, ne devraient cependant pas dissimuler le creux qu’ont traversé ces relations depuis quelques années.
Rarement un président de la Ve République n’a eu si peu d’intérêt pour le monde francophone en général. C’est peu dire que l’homme de la « start-up nation » et de « Choose France » n’est guère porté sur la Francophonie : on le sait depuis sa première campagne présidentielle, où il avait tenu à claironner qu’« il n’y a pas une culture française ; il y a une culture en France ».
Son tropisme économique aurait d’ailleurs plutôt tendance à le porter vers le Canada et ses alléchants marchés. Il serait du reste question de la tenue prochaine d’un Conseil des ministres franco-canadien, ainsi que s’y étaient engagés les deux pays en 2018, afin de faire un bilan de la coopération et de développer des actions communes.
On sait que Justin Trudeau et Emmanuel Macron — qui ont tous deux étudié chez les Jésuites et ont éprouvé une passion pour le théâtre — ont quelques atomes crochus. À commencer par cette vision idyllique et surannée d’une « mondialisation heureuse ».
Hasard du calendrier, cette visite intervient alors que le Sénat français vient de refuser de ratifier l’AECG, l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada. Une entente pourtant intégralement appliquée depuis 2017, même si l’on prétend que c’est de manière « provisoire ». Qu’on se rassure : ce traité a beau exiger l’unanimité des 27 pays membres, le président Macron pourrait choisir, contrairement à ce que voudrait la procédure, de ne jamais le renvoyer à l’Assemblée nationale, où il serait très probablement rejeté. Et en cas contraire, il pourrait ne jamais en notifier l’Union européenne. Ainsi resterait-il éternellement dans les limbes. Ce ne serait pas la première fois qu’à Bruxelles, l’opinion des élus français compte pour des prunes.
Parmi les sujets à l’ordre du jour, Emmanuel Macron et François Legault ne pourront pas fermer les yeux sur l’état inquiétant de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), non seulement sur le plan de l’administration, mais aussi sur le plan politique. En Afrique, Emmanuel Macron n’a eu de cesse de vouloir sortir du pré carré francophone, au point de nommer à la tête de l’OIF une secrétaire générale, Louise Mushikiwabo, issue d’un pays — le Rwanda — qui a remplacé en 2008 le français par l’anglais comme langue d’enseignement obligatoire du primaire à l’université. Encore étudiant à l’École nationale d’administration, le futur président n’avait-il pas préféré faire un stage au Nigeria, le pays (anglophone) le plus peuplé d’Afrique, plutôt que dans un pays francophone ?
S’il s’agissait de s’éloigner de l’Afrique francophone, on peut dire que c’est mission accomplie. Non seulement l’Afrique subsaharienne n’a jamais si peu compté dans l’économie française (0,6 %), mais jamais la France n’y a-t-elle été aussi détestée que depuis les putschs au Mali, au Niger et au Burkina Faso. Tout cela au profit de la Chine et de la Russie, qui n’ont guère d’états d’âme.
L’état de la langue française dans le monde ne devrait pas non plus offrir à François Legault et à Gabriel Attal l’occasion de célébrer. Bien sûr, la seule croissance démographique en Afrique provoque mécaniquement une augmentation du nombre de locuteurs, mais ces chiffres ne sont qu’une illusion. Partout, politiquement et culturellement, le français recule. À commencer par l’Union européenne, où les dirigeants français assistent béatement au naufrage de leur langue, quand ils n’y contribuent pas eux-mêmes.
La France et le Québec ont trop d’intérêts communs pour se permettre de ne pas se sentir solidaires en cette époque troublée. Le Québec n’est-il pas le seul endroit d’Amérique du Nord où l’on combat de peine et de misère pour faire respecter une certaine laïcité dans l’administration publique et à l’école ? Une laïcité de plus en plus battue en brèche, même en France, par les communautarismes islamiste et anglo-américain.
Pour toutes ces raisons, l’occasion est belle de redonner un peu de corps à une relation pour le moins négligée depuis quelques années. Une relation que le maître du « en même temps » avait lui-même qualifiée d’« affective » et en même temps de « stratégique ».