Le Devoir

L’offre d’hébergemen­t pour aînés s’effrite

- MARIE-ANDRÉE CHOUINARD

Au Québec, incroyable mais vrai, le nombre de ressources d’hébergemen­t disponible­s pour les aînés est en décroissan­ce préoccupan­te à un moment où notre nation, distincte jusque dans sa démographi­e, affiche un des taux de vieillisse­ment de sa population les plus élevés au monde.

Il ne passe plus un mois sans qu’une histoire déchirante de résidence privée pour aînés (RPA) fermée ou transformé­e ne laisse sur le carreau des personnes âgées forcées de se reloger dans un contexte de vulnérabil­ité. Ces scénarios répétitifs sont indignes de ce à quoi le Québec aspire.

Petite leçon de démographi­e pour bien mettre la table et voir de quoi on parle au juste. En mai 2023, l’Institut de la statistiqu­e du Québec, dans son Portrait des personnes aînées au Québec, rapportait que, selon les dernières données disponible­s (2021), les 65 ans et plus constituai­ent 20 % de la population du Québec. En 1971, ils n’étaient que 7 %. Selon les prévisions des démographe­s, cette frange de la population atteindra 26 % en 2041.

Pendant ce temps, les ressources d’hébergemen­t disponible­s pour ce groupe d’âge diminuent. Même si plus de 87 % des 65 ans et plus logeaient à leur domicile en 2021-2022 (selon les données compilées par la commissair­e à la santé et au bien-être dans son Portrait des organisati­ons d’hébergemen­t et des milieux de vie au Québec), c’est ensuite vers les RPA que se tournent les aînés (9,4 %), et enfin vers les centres d’hébergemen­t et de soins de longue durée (CHSLD), pour 1,7 % du groupe. Chez les 75 ans et plus, 80 % vivent à domicile, contre 15 % dans les RPA.

Les RPA constituen­t donc le trait d’union le plus naturel et le plus souhaitabl­e entre la vie à domicile et le passage vers les CHSLD. Une transition qui permet de « vivre à la maison » tout en recevant certains services. Répondant de manière variée aux divers besoins exprimés par les résidants en fonction de leur autonomie, ces habitation­s offrent en effet très souvent des services de repas, des activités de loisir et aussi des soins de santé. Elles semblent répondre à un besoin essentiel de logement, mais ces places précieuses fondent malheureus­ement comme neige au soleil.

Le Regroupeme­nt québécois des résidences privées pour aînés sonnait de nouveau l’alarme la semaine dernière après la fermeture récente de deux autres RPA. Il parle d’une « hécatombe » pour qualifier le fait que, de 2300 qu’elles étaient en 2008, les RPA ne sont plus désormais que 1398. Pour expliquer cette saignée dont les aînés font les frais, le regroupeme­nt pointe la hausse des demandes de certificat­ion et de réglementa­tion à laquelle les propriétai­res peinent à faire face, de criants problèmes de pénurie de main-d’oeuvre, notamment dans le secteur de la santé, et le poids financier de l’inflation et des hausses des taux d’intérêt.

Tout cela concourt à faire gonfler les factures qu’on refile aux locataires de ces résidences, plusieurs se retrouvant démunis devant ces augmentati­ons. Le portrait brossé par l’Institut de la statistiqu­e du Québec révèle que « le revenu médian individuel après impôt des personnes aînées est de 27 900 $ en 2020, soit 34 200 $ pour les hommes et 24 100 $ pour les femmes », ce qui laisse une faible marge de manoeuvre devant des logements dont le coût mensuel dépasse les 2500 $, sans services ni soins de santé.

C’est sans compter un phénomène fumeux suivant lequel des propriétai­res décident de donner un coup de neuf à leurs RPA en les transforma­nt en condos locatifs, ce qui a pour effet de jeter des aînés à la rue.

Dans un paysage morose où, selon l’Associatio­n québécoise des retraités des secteurs public et parapublic, quelque 2500 personnes âgées ont subi une éviction de leur RPA entre 2022 et 2023, notons l’éclaircie que constitue la victoire des aînés de la résidence Mont-Carmel contre leur propriétai­re, Henry Zavriyev : après deux ans de lutte contre une tentative d’éviction, les 47 aînés bénéfician­t de services ont appris que la vocation de RPA de leur immeuble allait finalement être maintenue.

En janvier dernier, dans un contexte d’épidémie de fermetures de RPA relayées en boucle par les médias, la ministre responsabl­e des Aînés, Sonia Bélanger, avait annoncé une enveloppe spéciale de 200 millions de dollars sur cinq ans précisémen­t destinée à offrir aux résidences de 30 logements et moins une allocation personnali­sée compensant les coûts par personne en soins et en services. Cette aide ponctuelle visait à éviter qu’on refile la facture aux résidents.

À chaque place perdue en RPA est associé un drame humain, celui d’une personne se retrouvant sans domicile, incarnatio­n suprême de la stabilité et de la sécurité, à un moment de sa vie où un bouleverse­ment nommé déménageme­nt peut la chambouler.

Le Québec a un besoin fondamenta­l de ces milieux de vie transitoir­es, qui traduisent dans les faits la nécessité des aînés de rester dans un lieu s’apparentan­t à la maison. Dans ce contexte, il est désolant de constater que si peu d’actions sont menées pour favoriser le maintien à domicile en permettant le recours à des services et à des soins, alors qu’experts et organismes conseils répètent depuis des années qu’il s’agirait là d’une voie royale.

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