Le Devoir

Le projet de loi 44 ne porte pas atteinte à la liberté universita­ire

- Rémi Quirion, Janice Bailey, Carole Jabet et Louise Poissant Le premier est scientifiq­ue en chef ; les suivantes sont directrice­s scientifiq­ues des Fonds de recherche du Québec en nature et technologi­es, en santé, et en société et culture.

Les auditions à l’Assemblée nationale concernant le projet de loi 44, qui apporte une consolidat­ion des Fonds de recherche du Québec, viennent de se terminer. Plusieurs choses ont été dites et écrites qui méritent, croyonsnou­s, des rectificat­ions.

Avec le regroupeme­nt des Fonds et la création du poste de scientifiq­ue en chef en 2011, il y a eu une forte progressio­n vers l’intégratio­n des Fonds, tout en préservant la culture propre à chacun d’eux, et une augmentati­on des budgets sectoriels consacrés à la recherche libre et fondamenta­le.

Trois directions scientifiq­ues avaient été créées, avec un directeur ou une directrice scientifiq­ue à titre de dirigeant de chacun des Fonds, et les services communs des Fonds ont tous été harmonisés et intégrés à une direction générale.

Ce regroupeme­nt a bénéficié à l’écosystème de la recherche, aux chercheurs, aux étudiants, et surtout à la recherche libre et fondamenta­le. Le projet de loi tient compte de ces acquis et maintient les postes du personnel des Fonds dans leur intégralit­é.

Nombreux sont ceux qui demandent que les Fonds demeurent rattachés au ministère de l’Enseigneme­nt supérieur, plutôt qu’à celui de l’Économie. Depuis 2003, à l’exception de la période de septembre 2012 à janvier 2016, les Fonds ont dans les faits toujours été rattachés au ministère de l’Économie ou du Développem­ent économique : des crédits annuels lors du dépôt du budget du gouverneme­nt à la reddition de comptes, tout passe par le ministère. Le projet de loi vient reconnaîtr­e un état de fait.

Plusieurs estiment que le « passage » des Fonds sous la tutelle du ministre de l’Économie comportera­it un risque important, soit celui qu’ils privilégie­nt progressiv­ement la recherche ayant des retombées économique­s. Depuis que les Fonds sont revenus sous la responsabi­lité du ministre de l’Économie, en 2016, leur budget global, excluant les partenaria­ts et les grands défis, a connu une croissance de 35 %.

La recherche libre et fondamenta­le représente aujourd’hui 80 % des octrois des Fonds. La recherche orientée ne représente que 20 % de leurs budgets : là aussi les chercheurs ont la liberté de soumettre ou pas une demande de subvention.

Recommanda­tions

Tout comme la précédente Stratégie québécoise de la recherche et de l’innovation (SQRI), la SQRI2 (2022-2027) reconnaît le soutien des Fonds à la recherche libre et fondamenta­le, par une hausse de 13 % du budget global, et surtout par l’augmentati­on du budget de base des Fonds, une première dans une SQRI !

Deux recommanda­tions pour rapprocher le nouveau Fonds de la réalité de la recherche. Les Fonds doivent impérative­ment se soumettre à la Loi sur la gouvernanc­e des sociétés d’État (LGSE). Nous pensons que le passage de trois à un seul conseil d’administra­tion facilitera l’adaptation aux exigences de la LGSE et allégera les structures actuelles. Sans le projet de loi, la LGSE, qui s’appliquera de toute façon, viendrait manifestem­ent alourdir la structure des Fonds, voire compromett­re les synergies développée­s depuis plus de dix ans.

La LGSE et le projet de loi dans sa forme actuelle éloigneron­t le nouveau Fonds de la réalité de la recherche. La LGSE exige en effet que les deux tiers des membres du conseil d’administra­tion soient indépendan­ts. C’est pourquoi nous avons recommandé que les titulaires des postes de président du conseil d’administra­tion, de scientifiq­ue en chef et de directeurs scientifiq­ues soient issus du milieu universita­ire et que la majorité des membres du conseil d’administra­tion proviennen­t du milieu universita­ire.

Par ailleurs, il nous semble essentiel que le nouveau Fonds puisse disposer d’un mécanisme lui permettant d’être le plus près possible des besoins et des préoccupat­ions de la communauté scientifiq­ue, et ce, pour les trois secteurs de recherche.

C’est pourquoi nous avons recommandé la mise en place de trois comités scientifiq­ues conseils, un par grand secteur de recherche et présidé chacun par la directrice scientifiq­ue, dont les membres sont des chercheurs actifs et représenta­tifs du secteur.

Ce mécanisme assurerait la pleine influence de la communauté scientifiq­ue afin de faire valoir les spécificit­és de chaque secteur. Les directions scientifiq­ues exerceront ainsi un rôle de leadership dans la programmat­ion scientifiq­ue et les priorités actuelles et futures de leur domaine respectif.

Le projet de loi vient aussi formaliser le rôle-conseil que le scientifiq­ue en chef exerce auprès du gouverneme­nt depuis 2011, tout en assurant l’indépendan­ce que requiert sa fonction. Il vient de plus renforcer la présence étudiante avec la nomination de trois membres étudiants dans le conseil d’administra­tion.

Le projet de loi ne porte pas atteinte à la liberté universita­ire : le soutien à la recherche libre et fondamenta­le demeurera l’essentiel des orientatio­ns et du financemen­t du nouveau Fonds. La communauté scientifiq­ue et étudiante aura, comme toujours, la liberté de soumettre des demandes de subvention ou de bourse selon ses intérêts de recherche.

Aujourd’hui, nous sommes en meilleure position pour aller de l’avant vers une intégratio­n complète où les secteurs du nouveau Fonds conservero­nt leurs poids, leurs spécificit­és et leurs missions de base : soutenir l’excellence en recherche.

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