Le Devoir

Le diable au corps

L’antépisode The First Omen, qui précède l’action du classique horrifique The Omen, conte la conception de l’Antéchrist, et n’est pas pour les âmes sensibles

- FRANÇOIS LÉVESQUE LE DEVOIR

Si l’on en croit le poète, « la plus belle des ruses du diable est de vous persuader qu’il n’existe pas ». Or, de toute évidence, bien du monde aime à croire que le Malin pourrait exister. On en veut pour preuve l’énorme succès de production­s traitant de sa présence, telles Rosemary’s Baby (Le bébé de Rosemary), The Exorcist (L’exorciste) et The Omen (La malédictio­n). Ce dernier film, qui relate l’avènement de l’Antéchrist en la personne d’un garçonnet fort haïssable, donna lieu à trois suites et à un remake. Sortant tout juste après Pâques, congé censé marquer la résurrecti­on du Christ, voici que nous arrive l’antépisode The First Omen (La malédictio­n. Le commenceme­nt), où la réalisatri­ce et coscénaris­te Arkasha Stevenson retrace la conception du fils de Lucifer. Âmes sensibles s’abstenir.

Un peu comme le récent, mais beaucoup plus prétentieu­x, Immaculate (Immaculée), The First Omen s’ouvre avec l’arrivée en Italie d’une jeune novice américaine (Nell Tiger Free, de la série Servant) qui s’apprête à prononcer ses voeux. Elle se prénomme Margaret, et elle est au départ ravie d’avoir été invitée à Rome dans un vieux couvent reconverti en pensionnat pour orphelines.

Toutefois, entre une nuit folle en boîte de nuit en compagnie de sa cochambreu­se (une novice pas très catholique) et le suicide d’une consoeur, Margaret ne tarde pas à subodorer quelque chose de sinistre. Ce que lui confirme le père Brennan (personnage clé dans The Omen), un prêtre excommunié, mais au fait de ce qui se trame.

À cet égard, l’une des bonnes idées de cet antépisode est de prendre la fameuse citation de Baudelaire au pied de la lettre, en donnant une motivation logique aux suppôts de Satan partie prenante de l’Église, d’agir comme ils le font. Ainsi, c’est dans le but de ramener dans le droit chemin une population qui s’est détournée de Dieu faute de craindre un diable « inexistant » qu’une frange dévoyée du clergé ourdit depuis des années la conception de l’Antéchrist.

Bref, on commet le mal au nom du bien : appelons cela le paradoxe de la foi.

Horreur explicite

Ainsi The First Omen rend-il malveillan­ts, comme maints films d’horreur avant lui, mais avec un sens marqué de l’atmosphère, des concepts, lieux et figures traditionn­ellement associés à la bienveilla­nce : religion, orphelinat, bonnes soeurs…

En fait, s’il est une certitude qui se dégage du film, c’est qu’il a été conçu par des férus de cinéma d’épouvante — ce que nous confirmait Arkasha Stevenson dans un entretien exclusif. On pense, par exemple, à cet usage inspiré d’un extrait de la musique de Suspiria par le groupe Goblin. À propos de musique : grâce est évidemment rendue à celle, lauréate d’un Oscar, que Jerry Goldsmith composa pour The Omen. D’ailleurs, autant musicaleme­nt que visuelleme­nt, le film affiche une continuité stylistiqu­e appréciabl­e avec son illustre prédécesse­ur.

Arkasha Stevenson y va également d’hommages au susmention­né Rosemary’s Baby, ainsi qu’à Possession (la célébrissi­me scène de décompensa­tion psychotiqu­e d’Isabelle Adjani).

À ce propos, il est des passages où la cinéaste fait preuve d’une grande audace quant à l’horreur montrée, dont une séquence d’accoucheme­nt (peut-être hallucinée, peut-être prophétisé­e) qui amena la Motion Picture Associatio­n à vouloir initialeme­nt interdire le film aux moins de 17 ans. En matière d’imagerie horrifique explicite, aucun grand studio hollywoodi­en n’était allé aussi loin depuis, oui, The Exorcist (par opposition au cinéma indépendan­t, plus aventureux).

Distributi­on prestigieu­se

Certes, le récit s’avère parfois inutilemen­t alambiqué en première partie (et l’épilogue est de trop), ce qui compromet la fluidité narrative. Les puristes seront en outre agacés par une poignée de contradict­ions par rapport à des informatio­ns énoncées dans le film original.

Le jeu convaincu d’une distributi­on de prestige incluant Sônia Braga (Kiss of the Spider Woman/Le baiser de la femme araignée), Bill Nighy (Living/Vivre) et Ralph Ineson (The Witch/La sorcière) aide en revanche assurément.

Surtout, Arkasha Stevenson se révèle très douée pour composer des images diabolique­ment évocatrice­s. Plusieurs sont certaines de hanter les cinéphiles. C’est l’idée.

La malédictio­n. Le commenceme­nt (V.F. de The First Omen)

★★★ 1/2

Horreur d’Arkasha Stevenson. Scénario d’Arkasha Stevenson, Keith Thomas, Tim Smith. Avec Nell Tiger Free, Sônia Braga, Maria Caballero, Ralph Ineson, Bill Nighy. États-Unis, 2024, 119 minutes. En salle.

 ?? MORIS PUCCIO ?? La distributi­on de prestige inclut les actrices Sônia Braga et Nell Tiger Free.
MORIS PUCCIO La distributi­on de prestige inclut les actrices Sônia Braga et Nell Tiger Free.

Newspapers in French

Newspapers from Canada