Un chalet en or ou empoisonné?
Il est facile d’imaginer qu’à toutes les époques, se voir offrir une participation dans un chalet familial par ses grands-parents représentait un cadeau très généreux. Mais avec la transformation structurelle du marché immobilier qui s’opère depuis quelques années, la valeur d’un tel présent est encore plus enviable ! Cette semaine, notre réponse à une question d’un grand-père qui se démarque par sa prudence.
« Mon épouse, mon fils et moi sommes copropriétaires à parts égales (1/3) d’une résidence secondaire dans Lanaudière. Tous les deux âgés de plus de 80 ans, [ma femme et moi] voulons céder nos parts à notre fils et à son enfant. Nous nous attendons personnellement à payer des impôts en fonction des gains obtenus sur la plus-value de notre part du chalet, dont la valeur marchande est de 400 000 $. En vendant un tiers à notre fils de 57 ans et un dernier tiers à notre petit-fils de 23 ans, est-ce que cela empêcherait ce dernier de profiter du RAP pour l’achat de sa première « vraie maison » à lui plus tard ? Autrement dit, est-ce que le fait qu’il devienne copropriétaire d’un tiers d’une résidence secondaire représente un cadeau empoisonné et l’empêchera d’acheter une maison à son goût dans une autre ville plus tard ? Y a-t-il des pièges à éviter ? » — Jacques
L’acheteur d’une première habitation
La réponse à cette question qui peut sembler complexe est pourtant très simple. La clé se trouve dans la définition du terme « acheteur d’une première habitation », qui rend possible le retrait non imposable du Régime enregistré d’épargne-retraite (REER) dans le cadre du Régime d’accession à la propriété (RAP). Selon l’Agence du revenu du Canada (ARC), vous êtes considéré comme tel « si vous n’avez pas, à tout moment de l’année civile en cours avant le retrait (sauf les 30 jours immédiatement avant le retrait) ou à tout moment des quatre années civiles précédentes », habité un lieu de résidence principale dont vous étiez le propriétaire ou copropriétaire avec un époux ou un conjoint de fait. Ainsi, l’admissibilité au programme est conditionnelle à l’intention du particulier d’occuper l’habitation admissible comme lieu principal de résidence dans l’année suivant l’achat ou la construction de ladite propriété. Élément souvent oublié, si vous habitiez déjà dans une maison dont votre conjoint était le propriétaire, vous ne pouvez pas recourir au retrait RAP pour acheter votre part de cette résidence.
Ainsi, dans le cas qui nous intéresse aujourd’hui, même si le petitfils devient propriétaire d’une portion du chalet avec son père, son admissibilité au RAP ne sera nullement compromise, sauf dans l’hypothèse où il ferait du chalet dans Lanaudière son lieu d’habitation principal.
Le CELIAPP avant le RAP
Il est aussi possible pour le petitfils de notre lecteur de faire un retrait admissible à son compte d’épargne libre d’impôt pour l’achat d’une première propriété (CELIAPP), pour la même propriété que celle désignée pour le retrait du RAP. En fait, dans bien des cas, le CELIAPP pourrait être à prioriser. En effet, contrairement au RAP, les retraits du CELIAPP n’ont pas à y être remboursés, alors qu’ils doivent l’être dans le REER sur une période maximale de 15 ans (à partir de la 2e année suivant le retrait). De plus, il n’y a pas de période minimale de détention du placement pour faire un retrait admissible du CELIAPP. Mais il ne faut pas négliger de considérer les possibilités de recourir au REER du conjoint pour optimiser la fiscalité du ménage, ce qui n’est pas le cas dans le CELIAPP, lorsqu’un choix doit être fait entre les deux.
Avec la hausse constante du coût moyen de l’immobilier résidentiel, il sera probablement requis de combiner les programmes dans de plus en plus de situations. Cela ne change rien au fait que, les premiers acheteurs étant généralement plus jeunes et ayant plus d’engagements financiers, la difficulté de constituer une mise de fonds ne provient pas nécessairement de l’occasion offerte ou non par ces régimes, qui ne règlent pas les problèmes d’accès à la propriété. En effet, la difficulté de constituer une mise de fonds vient principalement d’une épargne insuffisante. Parfois par manque de planification, parfois par manque de ressources. Pour les familles plus aisées, il est indéniable qu’une contribution au CELIAPP des enfants et des petitsenfants représente tout autant une avenue incontournable.
Des considérations pour éviter les pièges
Plusieurs parents et grands-parents souhaitent aider leurs proches de leur vivant, et cet élan de gentillesse devrait être intégré de façon plus globale dans une planification de décaissement des actifs et de transmission du patrimoine. Par exemple, en cédant les deux tiers du chalet, les grands-parents de notre cas pourraient être imposés sur du gain en capital si la valeur marchande a augmenté ou s’ils ne peuvent désigner cette propriété comme résidence principale. Un conseil bien concret à ne pas négliger est de récupérer les factures des travaux majeurs ayant été réalisés depuis l’acquisition afin de réduire le gain en capital imposable.
Le legs, fait de son vivant, d’un bien dont la disposition fiscale génère une facture d’impôts suppose aussi de bien planifier le décaissement des actifs disponibles pour le faire. De plus, ces legs faits à certains héritiers pourraient requérir la révision de la planification successorale afin de favoriser l’équité dans la succession. Par exemple, dans le cas d’un chalet, un billet à ordre peut être signé, afin de créer un document prouvant qu’un des enfants doit de l’argent à ses parents au moment de la succession, tout comme une fiducie peut être créée pour y transférer certains biens. Plus la valeur des biens est importante, plus le recours à des conseillers financiers et fiscaux devrait être envisagé dès le départ.